L'homme de théâtre et sa foi
dimanche 11 octobre 2009
Quelques convictions intéressantes données par l'Abri Fellowship
samedi 10 octobre 2009
Mon mémoire:
L’homme de théâtre et sa foi
Un théâtre chrétien a-t-il encore sa place aujourd’hui et sous quelle forme ?
MÉMOIRE DE MASTER EN ARTS DU SPECTACLE ET TECHNIQUES DE DIFFUSION ET DE COMMUNICATION
OPTION : INTERPRÉTATION DRAMATIQUE
ANNÉE ACADÉMIQUE 2008-2009
Présenté par : ZUCCHELLO Marc
Promoteur : VAUCHEL Philippe
Table des matières
I. Introduction……………………….…….……. 1
II. L’incompréhension du monde en
raison de sa foi…………………………..……. 3
Comprendre la foi chrétienne………..……………….. 3
Le christianisme dans l’histoire……………………… 11
Discerner ce temps-ci..……………………….……… 14
Comment dire le christianisme ?……….……………. 20
III. L’incompréhension de l’Eglise
en raison de son art……………………..…… 27
Comprendre la fonction de l’art (et des artistes)…….. 27
Comprendre le théâtre (et ses particularités)………… 36
IV. Théâtre et Christianisme………….…….…… 41
Une relation tumultueuse………..………………...…. 41
Le drame chrétien selon Gabriel Marcel……………... 56
Un enrichissement mutuel………….……………….... 58
Ce que le théâtre apporte à la foi….….…………. 58
Ce que la foi apporte au théâtre….….…………... 60
V. Conclusion……………...………….…….…… 63
· Annexes ………………………………………… 67
· Index ……………………………………………. 90
· Bibliographie…………………………………… 93
I
Introduction
Une voix crie :
Préparez au désert le chemin de l’Eternel,
Aplanissez dans les lieux arides
Une route pour notre Dieu.
Que toute vallée soit exhaussée,
Que toute montagne et toute colline soient abaissées !
Que les coteaux se changent en plaines,
Et les défilés étroits en vallons !
Alors la gloire de l’Eternel sera révélée,
Et au même instant toute chair la verra ;
Car la bouche de l’Eternel a parlé.[1]
Esaïe 40: 3-5
Ces versets, tirés du livre du prophète Esaïe, dans l’Ancien Testament, font référence à Jean-Baptiste et à ce qu’il fit pour préparer et annoncer la venue de Jésus-Christ. Ils furent également les versets que choisirent U2 pour accompagner le début de leur carrière. Ils voyaient dans cet appel le sens même de leur mission en tant que groupe de musique rock.
Pour eux, il s’agissait donc moins de rendre gloire à Dieu directement, que d’ôter les obstacles empêchant cette gloire d’être révélée aux hommes.
En tant que comédien et en tant que chrétien, cela me fait tout naturellement réfléchir aux motivations qui peuvent pousser un chrétien à se lancer dans une activité artistique à notre époque, et en particulier dans le domaine du théâtre. Au travers de ces réflexions, j’ai voulu également comprendre ce qu’un message chrétien pouvait encore avoir de pertinent à dire aujourd’hui et quelle était en définitive son essence et son universalité. Il est d’ailleurs frappant de voir à quel point il reste en grande partie incompris par nos contemporains et même par beaucoup de chrétiens. Les fêtes de Noël et de Pâques ne sont-elles pas aujourd’hui les vestiges d’une civilisation chrétienne considérée comme morte et enterrée ?
Comme sur ce sujet il existe d’innombrables préjugés, je me proposerai donc, dans un premier temps, de nous réapproprier ce message chrétien et d’en saisir les fondements. Ce sera l’occasion de voir comment il a évolué au cours de l’histoire et comment les gens le perçoivent aujourd’hui. Il s’agira également de comprendre cette époque que nous traversons et quels en sont les enjeux. Puis je tâcherai de développer en quoi l’art, et en particulier le théâtre, peut être une plate-forme intéressante ou pas pour le chrétien, suivant les buts qu’il poursuit.
Par ailleurs, j’ai voulu également comprendre qu’est-ce qui fait qu’il y a si peu de chrétiens dans l’art et pourquoi les chrétiens s’y intéressent si peu et le comprennent si peu.
Si U2 est considéré par beaucoup aujourd’hui comme l’un des plus grands groupes de rock de l’histoire, ils ont pourtant souvent été incompris et critiqués par les chrétiens. En effet, ces derniers ne comprenaient pas comment un groupe, qui se disait chrétien, pouvait critiquer si ouvertement l’Eglise et se comporter d’une manière si mondaine et débridée.
Ce regard méfiant que posent beaucoup de chrétiens sur l’art et les artistes ne date pas d’hier. De tous temps ils ont questionné le bien-fondé de l’art et du théâtre, et s’ils ont su parfois y voir une richesse et en tirer profit, ils n’y ont vu trop souvent que vanité et perversité.
Ce mémoire me donnera ainsi l’occasion, dans un second temps, de questionner le sens et le rôle de l’art et du théâtre dans notre société. Il s’agira de comprendre également les différentes attentes qui reposent sur les artistes.
Enfin, dans un troisième temps, je me proposerais de reparcourir l’histoire d’un théâtre chrétien et de comprendre le pourquoi des querelles et des succès. Je me poserai également la question de la place qui revient à l’artiste chrétien au sein de l’Eglise ou de sa communauté ainsi que les incompréhensions et les inquiétudes qu’il peut susciter.
Vous l’aurez peut-être compris, l’intérêt de ce mémoire est de faire le constat de deux incompréhensions dans lequel se trouve l’homme de théâtre chrétien à notre époque, à savoir l’incompréhension du monde en raison de sa foi et l’incompréhension de l’Eglise en raison de son art. Il s’agira donc de relever ces incompréhensions et je l’espère de les dépasser.
II
L’incompréhension du monde en raison de sa foi
Comprendre la foi chrétienne
André Malraux, au début du siècle passé, nous disait que le siècle prochain serait religieux ou ne serait pas. A cette prévision, Jean-Luc Jeener, metteur en scène québécois contemporain, répond ceci : « Le XXIème siècle sera spirituel, oui, mais sera-t-il chrétien ? Et quelle importance, qu’il soit ou non chrétien, si le christianisme y est vidé de sa substance ? »[2]
Cette substance, l’homme de théâtre chrétien ne peut pas se permettre de ne pas la connaître. Ou du moins, s’il ne peut s’en faire une idée absolue, il tâchera réellement de comprendre ce qui fait l’originalité de sa foi et ce sur quoi elle prétend s’appuyer.
On touche là évidemment au grand problème du christianisme et de la plupart des religions, car il nous sera impossible de nous mettre tous d’accord sur ce qui constitue l’essence de son message. Je me bornerai donc à proposer une interprétation parmi d’autres en tâchant de coller au plus près de ce que nous dit la Bible.
Je fais en outre partie de ceux qui pensent que le christianisme n’est pas une religion au sens
où on l’entend généralement, mais qu’il invite davantage à une relation personnelle avec son
créateur, même si c’est là précisément ce que signifie étymologiquement le terme « religion ».
En ce sens, on peut supposer qu’au Moyen-Age, la proportion de chrétiens considérant la foi
comme une relation personnelle avec Dieu et non pas simplement comme une religion traditionnelle n’était pas supérieure à celle que nous avons aujourd’hui, même si cette supposition pourra surprendre à une époque qu’on pourrait qualifier de post-chrétienne.
Le fait que la Vérité en laquelle le chrétien met sa foi n’est pas en premier lieu une doctrine mais avant tout une personne à rencontrer et à aimer change beaucoup de choses.
Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient
au Père que par moi. – Jean 14 : 6
Cette connaissance a pour objectif la possibilité d’une vraie relation d’amour avec son créateur et c’est ce qui rend cette bonne nouvelle tellement indispensable. Le fait que les Evangiles soient davantage un récit relatant la vie du Christ plutôt qu’une liste de préceptes et de commandements fait en réalité toute la différence. Ainsi, bien plus que de s’élever en sagesse et en connaissances, le chrétien veillera tout d’abord à connaître son Dieu et à l’aimer. Voici comment Paul nous l’explicite :
La connaissance enfle, mais la charité édifie.
Si quelqu’un croit savoir quelque chose, il n’a pas encore
connu comme il faut connaître.
Mais si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de lui. – 1 Corinthiens 8 : 1-3
Et voici ce que le Christ répond à un docteur de la loi qui lui demande quel est le plus grand commandement :
Jésus lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout
ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée.
C’est le premier et le plus grand commandement.
Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton
prochain comme toi–même.
De ces deux commandements dépendent toute la loi et les
prophètes. – Matthieu 22 : 36-40
Ainsi on pourrait dire que toute la Bible n’est en réalité que l’illustration de ce que signifient ces deux commandements et de ce qu’ils impliquent dans la vie d’un homme. On dit couramment que Jésus est la Parole incarnée. En ce sens, la vie de Jésus n’est que l’exemple et l’illustration de ce qui advient lorsqu’un homme vit et incarne pleinement ces deux commandements. Sur la croix, Jésus accomplit ce double acte d’amour : Il répond à la fois au désir de justice de son Père, en prenant sur lui le salaire des péchés des hommes ainsi qu’au besoin de grâce de ses frères en les rendant libres de toute dette envers Dieu et en leur pardonnant. Jésus résout ainsi à la croix le paradoxe d’un Dieu qui est à la fois justice et miséricorde. Ca n’a donc rien de banal. Et pourtant, il semblerait que ce soit également ce que Dieu attende de nous, même si ce qu’il nous demande paraît impossible. Ainsi nous expérimentons chaque jour cette incapacité à vivre une vie qui reflète un tant soit peu cet amour.
Ce qui est bon, je le sais, n’habite pas en moi, c’est–à–dire
dans ma chair : j’ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le
bien.
Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne
veux pas. – Romains 7 : 18-19
Par ces versets, Paul exprime cette double nature qui se trouve dans l’homme. L’homme est ainsi charnellement attiré par le péché et spirituellement attiré par Dieu. D’où le conflit inhérent à la nature humaine.
Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur ;
mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre
la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du
péché, qui est dans mes membres.
Misérable que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ?
– Romains 7 : 22-24
Nous touchons ici à l’essence même de la vision chrétienne de l’homme : « Un être double, participant de deux mondes : le monde divin supérieur, dont il est le reflet, et le monde de la nature dont il partage le sort, qui agit sur lui par les voies les plus diverses, qui le lie et l’enchaîne au point d’obscurcir sa conscience et de lui faire oublier ses hautes origines et sa participation à une réalité spirituelle élevée. »[3] C’est ainsi que pour le philosophe russe Nicolas Berdiaeff, les deux théories, celle qui donne à l’homme une origine divine et celle qui conçoit l’homme comme subissant l’influence du milieu, ne sont pas incompatibles mais au contraire sont complémentaires et s’expliquent l’une l’autre. Mais, ajoute-t-il, « nous sommes tellement habitués à la réalité de ce monde-ci, à ses limitations, à sa séparation d’avec le vrai temps, qu’il nous est très difficile de casser la coque dure dans laquelle est enfermée notre conscience, pour la retrouver telle qu’elle était à l’aube de la destinée humaine, alors que ces limites n’existaient pas encore. »3 C’est pour cela que quand on lit l’Ancien Testament par exemple ou les premiers mythes primitifs on peut être parfois frappé de la facilité avec laquelle l’histoire céleste et l’histoire terrestre s’enchevêtrent, comme s’il n’y avait pas de séparation.
Si cette double nature constitue le drame de la nature humaine, elle n’est en réalité, selon la Bible, que la conséquence du péché originel. Avant ce péché, l’homme était unifié dans son corps et dans son âme et il était immortel. Mais après ce péché, la mort, qui en est la conséquence, s’est attachée à notre corps qui chaque jour dépérit. La vie n’est dès lors plus qu’un sursis. Ainsi, avant la venue du Christ, l’âme humaine contaminée par le péché ne vivait plus que dans l’attente de son jugement. Nous étions esclaves du péché, et nous avions pour Père le diable qui dominait cette terre. C’est pourquoi le peuple juif devait continuellement sacrifier des animaux afin que ses péchés soient expiés. Mais la Bible nous dit que le Christ, par son sacrifice, nous a libéré du pouvoir du péché une fois pour toutes et nous a donné la possibilité de devenir enfants de Dieu, pour peu que nous croyions en lui.
Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait
la vie éternelle. – Jean 3 : 16
Car, prenant sur lui tout le péché du monde, il est mort, tuant par-là même également le péché, qui fonctionne comme un parasite, puis il est ressuscité dans un nouveau corps. C’est pour cela que la croix n’est pas une défaite mais une victoire que Dieu nous donne sur le mal et le péché. Ainsi en croyant en lui et en son sacrifice, nous acceptons que nos propres péchés sont également morts à la croix afin qu’au jour de notre mort, nous soyons reconnus comme justes et que Dieu nous ressuscite comme le Christ est ressuscité.
La voilà cette bonne nouvelle que le chrétien est sensé publier par toute la terre et que si peu de gens comprennent et cela même parmi les chrétiens. Par son Fils, Dieu instaure une nouvelle alliance entre l’homme et lui. Il lui donne la possibilité d’être réconcilié avec lui et de le connaître librement. Il est évident que pour un homme qui ne ressent pas cette séparation d’avec Dieu ainsi que le poids de sa nature pécheresse, ce sacrifice n’a aucun sens et ne lui sert de rien. Mais pour celui qui se sent pécheur, et ressent profondément le besoin d’être secouru, cela constitue réellement une bonne nouvelle :
Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de
médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des
justes, mais des pécheurs. – Marc 2 : 17
Il nous faut ici prendre le temps de comprendre ce que signifie le péché. C’est un mot qui semble aujourd’hui exclusivement réservé au vocabulaire religieux et qui ne s’emploie souvent que bien maladroitement. On pense assez naturellement que pécher, c’est faire le mal, ce qui n’est pas faux en soi, mais il faut rajouter une nuance qui est qu’en réalité pécher c’est plutôt échouer dans la volonté de faire le bien. Car il n’y a en réalité aucune chose que Dieu ait créée qui soit mauvaise en soit, pas même le sexe.
Je sais et je suis persuadé par le Seigneur Jésus que rien n’est impur en soi, et qu’une chose n’est impure que pour celui qui la croit impure. – Romains 14 : 13-14
Ce n’est que l’emploi qu’on fait d’une chose qui puisse ne pas être approprié. Ainsi à l’origine, pécher signifie manquer la cible. La nuance est de taille puisque la première façon de voir insinue que l’homme désire volontairement faire le mal, alors que la deuxième reconnaît que l’homme dans son désir de faire le bien échoue et à cause de son aveuglement, manque la cible. La première façon de voir culpabilise l’homme alors que la seconde le pousse à se perfectionner. Car il va de soi qu’à tout péché Dieu a prévu une alternative qui est meilleure. Le chrétien reconnaît donc qu’il est naturellement poussé à pécher mais qu’il peut trouver auprès de son Dieu la force et la possibilité d’agir mieux.
Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour
qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par
lui. – Jean 3 : 17
Ainsi la culpabilité dans le cœur de l’homme ne vient pas de Dieu mais du diable qui a pour nom « l’Accusateur ». Le début de l’histoire de Job nous montre très clairement comment Satan agit :
Or, les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant l’Eternel, et Satan vint aussi au milieu d’eux.
L’Eternel dit à Satan : D’où viens–tu ? Et Satan répondit à l’Eternel : De parcourir la terre et de m’y promener.
L’Eternel dit à Satan : As–tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’y a personne comme lui sur la terre ; c’est un homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal.
Et Satan répondit à l’Eternel: Est–ce d’une manière désintéressée que Job craint Dieu ?
Ne l’as–tu pas protégé, lui, sa maison, et tout ce qui est à lui ? Tu as béni l’œuvre de ses mains, et ses troupeaux couvrent le pays.
Mais étends ta main, touche à tout ce qui lui appartient, et je suis sûr qu’il te maudit en face.
L’Eternel dit à Satan : Voici, tout ce qui lui appartient, je te le livre ; seulement, ne porte pas la main sur lui. Et Satan se retira de devant la face de l’Eternel.
– Job 1 : 6-12
Dieu permet ainsi que nous soyons mis à l’épreuve car il sait que ce n’est que dans l’épreuve et la souffrance que le fond de nos cœurs se révèle et que nous avons la possibilité de grandir et de nous perfectionner. La souffrance est également un grand sujet dont je ne pourrais pas faire le tour ici, mais Dieu nous fait la promesse que nous pouvons trouver auprès de lui le soutien nécessaire.
Ainsi, puisque nous avons un grand souverain sacrificateur qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, demeurons fermes dans la foi que nous professons.
Car nous n’avons pas un souverain sacrificateur qui ne puisse compatir à nos faiblesses ; au contraire, il a été tenté comme nous en toutes choses, sans commettre de péché.
Approchons–nous donc avec assurance du trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être secourus dans nos besoins.
– Hébreux 4 : 14-16
Je reconnais ainsi que l’Eglise au cours de l’histoire s‘est grandement trompée en mettant l’accent sur le péché et en cherchant à culpabiliser les fidèles. Elle s’est fait par-là la complice du diable. Voilà pourtant comment Paul nous exhorte :
Si vous êtes morts avec Christ aux rudiments du monde, pourquoi, comme si vous viviez dans le monde, vous impose–t–on ces préceptes:
Ne prends pas ! ne goûte pas ! ne touche pas !
préceptes qui tous deviennent pernicieux par l’abus, et qui ne sont fondés que sur les ordonnances et les doctrines des hommes ?
Ils ont, à la vérité, une apparence de sagesse, en ce qu’ils indiquent un culte volontaire, de l’humilité, et le mépris du corps, mais ils sont sans aucun mérite et contribuent à la satisfaction de la chair. – Colossiens 2 : 20-23
L’Eglise s’est également trompée en voulant supprimer ou amoindrir la liberté que Dieu voulait pour l’homme. Cette double nature qui se trouve dans l’homme est au cœur de la foi chrétienne puisqu’elle garantit à l’homme sa liberté. C’est parce que l’homme peut choisir de se confier en Dieu ou de le rejeter qu’il est libre.
J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité. – Deutéronome 30 : 19
Et si vous ne trouvez pas bon de servir l’Eternel, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir… - Josué 24 : 15
« La seule interprétation possible est que toute contrainte, quelle qu’elle soit, est désagréable à Dieu, qu’il refuse que le perfectionnement de l’homme soit le résultat d’un processus de nécessité. Dieu ne veut rien qui ne soit libre »[4] nous dit Berdiaeff. C’est ainsi qu’on voit dans « Les Frères Karamazov » de Dostoïevski, le Christ revenir au temps de l’Inquisition et être envoyé au bûcher par le Grand Inquisiteur qui lui reproche d’avoir voulu l’amour libre de l’homme. En effet, selon ce dernier, l’homme n’aime pas la liberté car elle est trop lourde à porter et demande trop de responsabilité. Pourtant Dieu n’attend rien moins de nous :
Vous avez été rachetés à un grand prix ; ne devenez pas
esclaves des hommes. – 1 Corinthiens 7 : 23
Voilà encore ce que nous dit l’historien de l’art Rookmaaker :
« L’amour et la liberté vont de concert, tout comme le péché et l’esclavage sont frères jumeaux. Si les chrétiens estiment qu’ils ont à édicter toutes sortes de règles dans un esprit légaliste, même s’ils le font dans les meilleures intentions et ne visent qu’à préserver ce qui est bien, ils tuent néanmoins la liberté et, finalement l’amour disparaît et la beauté s’enfuit. […] Il incombe aux chrétiens de faire la distinction entre un faux légalisme et une vraie liberté et d’être ce que Dieu voulait que nous fussions car privé de cette liberté l’art se flétrira. »[5]
Dans ce choix que nous donne Dieu de le suivre librement, il est clairement question d’un acte de foi :
Or la foi est une ferme assurance des choses qu’on espère, une
démonstration de celles qu’on ne voit pas. – Hébreux 11 : 1
Il nous faut bien comprendre ce qu’est la foi. Pour ce faire je m’appuierai sur la façon dont le philosophe Karl Jaspers l’illustre. Il propose dans un premier temps de voir deux styles fondamentaux de perception. La perception ancienne ou religieuse qui tend à oublier l’homme charnel en confrontation avec son monde et cherche à lui imposer une vérité absolue. La perception actuelle (moderne) quant à elle ne prend en compte que l’homme sous sa forme charnelle et estime que c’est là tout ce qu’il est. En réalité une juste perception ne peut être que dans une tension entre ces deux pôles. Il faut à la fois pouvoir reconnaître notre engagement dans ce monde et tendre en même temps vers celui que nous pouvons être mais que nous ne sommes pas encore. Les deux premières perceptions sont statiques alors que la troisième seule demande l’implication de notre être-soi en tant que volonté et qui fait que nous sommes vraiment des hommes libres. Dans la première perception, l’homme essaie de connaître Dieu et de l’image qu’il s’en fait, il en fait un savoir absolu, un terme connu. Dans la seconde, l’homme, comme il ne voit pas Dieu, part de sa perception limitée pour en conclure que cela constitue un savoir absolu sans même avoir eu l’intention d’orienter sa recherche vers la totalité. La troisième est celle de l’être comme être-soi qui s’oriente. Il ne peut faire de sa connaissance subjective une totalité absolue car il ne peut sortir de lui-même. En simplifié l’homme doit avoir les yeux dirigés vers le ciel mais les pieds concrètement ancrés sur terre s’il veut avoir un impact. Ce n’est que cette tension qui permet à l’être-soi de se définir et de poser un acte.
Pour mieux illustrer cette foi dont je vous parle, je ferai le parallèle avec la métamorphose du papillon. La chenille, si elle croit qu’elle est un papillon simplement parce qu’on le lui a dit mais qu’elle ne reconnaît pas sa situation actuelle de chenille, jamais elle ne deviendra papillon. La foi à elle seule ne suffit pas. De même si la chenille ne croit pas qu’elle pourra devenir un jour un papillon, alors jamais elle n’essayera de sortir de son cocon et donc jamais elle ne développera des ailes pour voler. La première chenille est ridicule parce qu’elle se croit un papillon alors qu’il n’en est rien, la seconde est à plaindre parce qu’elle n’a pas conscience qu’elle est un papillon en puissance et qu’elle ne volera donc jamais. Seule la troisième chenille qui reconnaît qu’elle se trouve dans un cocon mais qui croit de toutes ses forces qu’elle deviendra un papillon développe l’énergie nécessaire pour tenter de sortir de son cocon et c’est une fois dehors qu’elle comprendra que ces ailes ne sont pas venues de l’extérieur s’accrocher à elle mais qu’elles se sont développées d’elles-mêmes dans l’action de vouloir sortir. Voilà comment Jaspers nous l’explique :
« Ces attitudes erronées gardent un caractère commun jusque dans leur opposition.
*Celui qui se fait de la totalité une image abstraite y trouve un apaisement : il se place à l’extérieur et ne participe plus à la réalité de façon inconditionnelle, mais il se contente d’en faire l’objet de ses plaintes ou de ses louanges ou de ses espoirs enthousiastes, comme s’il parlait d’évènements qui lui demeureraient étrangers et surviendraient sans lui.
*Celui qui fixe une situation finie, dans la connaissance qu’il en a, de façon à en faire un être en soi, enferme sa conscience dans les bornes étroites de sa contingence.
Se forger des images de la totalité ou caractériser le particulier par des déterminations frappantes, c’est également servir cette inertie qui se contente d’une activité superficielle : c’est nécessairement s’empêcher de pénétrer en son propre fonds.
*C’est à l’opposé de ces deux attitudes que se situe celle de l’être comme être-soi qui s’oriente ; le but qu’il poursuit en éclaircissant sa situation, c’est de pouvoir saisir de façon consciente son devenir propre dans sa situation particulière, et cela de la façon la plus résolue »[6]
Tant qu’il vivra sur cette terre, l’homme restera corps et âme. Il ne devra donc pas se complaire dans l’illusion d’être un pur esprit ou d’avoir atteint la perfection comme se l’imaginaient les pharisiens à l’époque de Jésus. Car « ce que seule la divinité pourrait savoir, l’homme ne peut pas vouloir le connaître. Par cette connaissance en effet, il supprimerait son existence temporelle, dans laquelle son action doit précéder et conditionner son savoir. »6
Mais d’un autre côté il ne devra pas se complaire non plus dans l’illusion qu’il n’est qu’un corps et que la fin de cette vie sur cette terre sera la fin de tout. Il ne devra donc pas se laisser aller au désespoir car sa vie porte en elle un sens qui le dépasse et qu’il ne peut saisir pleinement ici-bas. Cette tension entre ces deux pôles est cause de beaucoup de souffrances pour l’homme mais c’est là le prix de sa liberté. C’est pourquoi beaucoup d’hommes préfèrent choisir une voie de facilité plutôt que d’assumer cette liberté. Voilà comment Jaspers définit l’homme libre : « L’homme authentiquement courageux, c’est celui qui, partant de l’angoisse, agit dans le pressentiment du possible, en sachant que seul celui qui veut l’impossible peut atteindre le possible. Seule l’expérience de l’inaccessible, atteint dans l’effort même qui tend à le rejoindre, permet à l’homme d’accomplir sa tâche. […] C’est cette indétermination qui permet à l’homme d’entendre l’Appel qui est fait à sa liberté, et ainsi de devenir par lui-même ce qu’il peut-être mais qu’il n’est pas encore. En tant que liberté, il conjure l’être comme transcendance cachée. » 6
Par ces mots, Jaspers exprime de manière tout à fait pertinente ce qu’est, à mon sens, la foi.
Le christianisme dans l’histoire
« Comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l’Eglise ait donné naissance à une société, à une civilisation, à une culture en tout inverses de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est le texte indiscutable à la fois de la Torah, des prophètes, de Jésus et de Paul ? Je dis bien en tout ? Ce n’est pas sur un point qu’il y a eu contradiction, mais sur tous les points. »[7] - Jacques Ellul
« Le christianisme dès lors est illisible pour ceux qui ne connaissent pas ses textes fondateurs. »[8] ajoute Frédéric Lenoir, philosophe, historien des religions et directeur du magazine « Le Monde des religions ».
Le chrétien doit être honnête avec son héritage, savoir faire la part des choses et reconnaître qu’à maintes reprises les vrais chrétiens ne furent pas ceux qui se prétendaient tels et que trop de fois l’Eglise travailla contre le christianisme et contre Dieu.
Il nous faut donc différencier histoire du christianisme et histoire de la chrétienté. La première relate ce que les valeurs évangéliques ont transformé dans notre civilisation et la seconde ce que les chrétiens ont bien maladroitement fait de ses valeurs.
C’est un fait que beaucoup de laïcs aujourd’hui nient cet héritage chrétien et préfèrent se voir
dans une rupture plutôt que dans une continuité. C’est oublier, nous rappelle Gabriel Ringlet, que la séparation des pouvoirs intervient vers la fin du Vème siècle entre l’empereur Constantin et le pape Gélase, que le droit de vote pour les femmes fut introduit en premier chez les Dominicains au XIIème et XIIIème siècles et que ce fut saint Augustin qui permit qu’on sorte de la loi du talion pour tenir compte de l’intentionnalité. On pourra rappeler également que la première vraie brèche faite durant la chrétienté fut faite par des chrétiens eux-mêmes lors de la Réforme.
Frédéric Lenoir nous rappelle de même que ceux qui pointèrent la subversion du christianisme avec le plus de force furent des chrétiens convaincus qui connaissaient assez l’Evangile pour ne pas supporter qu’il soit ainsi pervertit. Le philosophe Soren Kierkegaard fut l’un de ceux-là quand il disait :
« Le christianisme a été aboli par sa propagation, par ces millions de chrétiens de nom dont le nombre cache l’absence de chrétiens et l’irréalité du christianisme. »[9] Ainsi parle-t-il également de l’Eglise : « Une humanité révoltée contre Dieu, secouant le joug du christianisme, serait bien moins dangereuse que cette escroquerie qui a supprimé le christianisme en favorisant son extension de manière frauduleuse. Toute la chrétienté n’est autre chose que l’effort du genre humain pour retomber sur ses quatre pattes, pour se débarrasser du christianisme. »[10]
Pour Marcel Gauchet, le christianisme serait en quelque sorte la religion de la sortie de la religion. Du moins c’est ce qu’il a été initialement. Car le Christ n’a jamais voulu instaurer une nouvelle religion. Mais c’est à partir du judaïsme qu’il ouvrit la possibilité d’un salut pour tous au travers de sa personne. Ainsi, le christianisme débarrassa l’homme de ses superstitions païennes et permis le développement de la science et de la technique, même si cette technique semble aujourd’hui se retourner contre lui.
Pourtant le christianisme en tant que religion officielle ne pouvait qu’échouer à long terme et Dieu n’aurait jamais voulu d’une théocratie instaurée par la contrainte. De plus le Royaume de Dieu dont parle le Christ ne devait pas se réaliser sur terre.
Mon royaume n’est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon
royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu
pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais
maintenant mon royaume n’est point d’ici–bas. – Jean 18 : 36
La Renaissance fut donc l’occasion rêvée pour l’homme chrétien de se réapproprier son corps trop longtemps vu comme une honte. Cette réconciliation donna naissance à ce qui fut une période incroyablement riche artistiquement.
A partir de là, on peut imaginer que le véritable christianisme se serait servi de mouvements à priori anti-chrétiens, comme les Lumières, pour continuer son œuvre, offrir enfin aux hommes la liberté et pour finalement sortir notre civilisation de la religion. Ils sont donc beaucoup à émettre l’hypothèse que la modernité n’aurait pas pu naître d’un contexte autre que chrétien.
Il me paraît ainsi capital pour l’homme de théâtre chrétien de savoir prendre du recul par rapport à l’histoire. Etre chrétien aujourd’hui ce n’est donc pas simplement se contenter de conserver les traditions du passé mais c’est surtout poursuivre l’œuvre créatrice, dynamique et libre du Christ. Car le christianisme n’empêche pas la réaction de l’homme, bien au contraire il l’encourage.
D’ailleurs pour Berdiaeff, la spécificité du christianisme est d’avoir été à la base de notre conception actuelle de l’histoire. La venue du Christ ou la rencontre de l’éternel avec le temporel créant un évènement unique dans l’histoire et tranchant avec la vision cyclique du temps qu’avaient les Anciens. Le christianisme amène ainsi avec lui un dynamisme. Les périodes précédant le christianisme étaient beaucoup plus statiques du fait de leur conception fataliste d’un monde dirigé par les dieux. La conception chrétienne est porteuse de liberté, l’homme peut poser un acte et changer l’histoire.
Discerner ce temps-ci
Il dit encore aux foules : Quand vous voyez un nuage se lever
à l’occident, vous dites aussitôt : La pluie vient. Et il arrive
ainsi.
Et quand vous voyez souffler le vent du midi, vous dites : Il fera chaud. Et cela arrive.
Hypocrites ! vous savez discerner l’aspect de la terre et du ciel ; comment ne discernez–vous pas ce temps–ci ?
Et pourquoi ne discernez–vous pas de vous–mêmes ce qui est juste ?
– Luc 12 : 54-57
Si l’homme de théâtre chrétien doit connaître sa foi et ses origines, il doit également pouvoir porter un regard critique sur son époque. Il lui faut comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés là aujourd’hui et ce qui nous attend demain. Voici comment Rookmaaker considère la tâche de l’artiste :
« La tâche de l’artiste est de révéler les secrets profonds et irrationnels de la réalité, une réalité au-delà de ce qui est matériel, dissimulée derrière les apparences. En même temps son rôle est d’interpréter une époque, d’avoir une intuition prophétique des tendances essentielles et de la signification de tout ce qui se passe. A l’heure actuelle cela implique presque inévitablement que l’artiste doit se montrer critique à l’égard des valeurs et des normes communément admises. »[11]
Le chrétien dit généralement de lui-même qu’il n’est pas de ce monde. Il reconnaît par là avoir des origines célestes et considère sa vie sur terre comme un passage. Ce qu’il dit moins souvent c’est qu’il est malgré tout dans ce monde et qu’il ne lui est donc pas possible de faire fi de sa contestation. Aussi hostile que ce monde puisse lui paraître, le chrétien veillera à ne point s’en retirer car il est responsable de l’état de ce monde. La Bible dit de lui qu’il est le sel de la terre. Il a donc pour mission de lui donner du goût et de la préserver de la pourriture. Le chrétien est également appelé à être la lumière de ce monde. Ce n’est donc pas en se cachant qu’il remplira son rôle tel que nous le disent ces versets :
Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec
quoi la lui rendra–t–on ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors, et
foulé aux pieds par les hommes.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ; et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.
Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. – Matthieu 5 : 13-16
A l’image du Christ qui les bras étendus établissait un pont entre le Royaume de Dieu et cette terre, entre Dieu et les hommes, entre l’Esprit et la Chair, à cette image de médiation, de réconciliation, l’artiste chrétien crée un pont entre la parole de Dieu et l’époque actuelle.
Le chrétien a trop longtemps cherché à se préserver du monde comme s’il avait peur d’être contaminé et ce faisant, il a manqué à sa mission.
Car ce n’est pas un esprit de timidité que Dieu nous a donné,
mais un esprit de force, d’amour et de sagesse. – 2 Timothée 1 : 7
… parce que celui qui est en vous est plus grand que
celui qui est dans le monde. – 1 Jean 4 : 4
Ancré dans cette assurance, le chrétien tâchera ainsi de comprendre ce qui constitue la foi de nos contemporains, car il ne faut pas être aveugle sur les mœurs de notre époque et croire qu’elles vont de soi et qu’elles sont vierges de toutes idéologies. Grâce au regard immuable que pose la Bible sur l’homme, le chrétien est à même de prendre du recul par rapport aux dérives de son époque. Ainsi Tocqueville reconnaissait que « dans les siècles de ferveur, il arrive quelquefois aux hommes d’abandonner leur religion, mais ils n’échappent à son joug que pour se soumettre à celui d’une autre. La foi change d’objet, elle ne meurt point. L’ancienne religion excite alors dans tous les cœurs d’ardents amours ou d’implacables haines ; les uns la quittent avec colère, les autres s’y attachent avec une nouvelle ardeur : les croyances diffèrent, l’irréligion est inconnue. »[12]
De même Bob Dylan exprime une idée semblable lorsqu’il dit dans sa chanson « Gotta Serve Somebody » que l’homme est appelé, qu’il en soit conscient ou non, à se soumettre à un principe supérieur. Voici le début de la chanson :
You may be an ambassador to England or France
You may like to gamble, you might like to dance
You may be the heavyweight champion of the world
You may be a socialite with a long string of pearls.
But you're gonna have to serve somebody, yes indeed
You're gonna have to serve somebody,
It may be the devil or it may be the Lord
But you're gonna have to serve somebody.
Might be a rock'n' roll addict prancing on the stage
Might have money and drugs at your commands, women in a cage
You may be a business man or some high degree thief
They may call you Doctor or they may call you Chief.
But you're gonna have to serve somebody, yes indeed
You're gonna have to serve somebody,
Well, it may be the devil or it may be the Lord
But you're gonna have to serve somebody.
…
Toutefois il faut reconnaître, comme nous le dit Paul Gosselin, que si la génération postmoderne n’est pas sans religion, sans idéologie, elle préfère néanmoins des idéologies diffuses, ajustables et non circonscrites. L’homme postmoderne, après avoir subi les fléaux de la théocratie, du communisme et du fascisme, s’est réfugié dans le relativisme.
Ce n’est plus l’homme qui s’adapte et tend à rentrer dans une idéologie, mais c’est l’idéologie qui se crée en fonction de l’individu. C’est un peu l’ère du shopping spirituel. Chacun choisit des ingrédients à droite et à gauche et se complaît dans l’illusion d’être original. Car c’est là tout le paradoxe : puisque cette idéologie, qui se veut multiple, est commune à tous, elle tend en réalité à uniformiser tout le monde, en partie à cause des besoins similaires que créent les médias mais parce que le système d’organisation offre un cadre à la masse qu’un individu ne peut pas espérer déborder au risque de se voir rejeté.
L’homme postmoderne est profondément désillusionné. Il ne croit plus ni en une vérité religieuse, ni en une vérité scientifique car pour lui la vérité est multiple, relative et chacun se crée la sienne. Si cette mentalité se veut extrêmement tolérante, de par le fait qu’elle englobe toute idéologie, elle n’offre plus à l’individu autant de sens et de sécurité. L’individu, livré à lui-même, ne trouve dès lors de réconfort qu’en se fondant dans la masse, rassuré qu’il est d’agir comme tout le monde. Pour éviter d’être marginalisé, l’individu confine alors ses croyances ou idéologies à l’espace privé. Et à celui qui se permet de dire des choses qui sortent du cadre prescrit, on colle une étiquette afin de le rendre inoffensif.
Prenons encore un peu de recul pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là. A la fin du Moyen-Age et face aux dérives de l’Eglise, naît un premier humanisme que l’on peut qualifier de chrétien. C’est le début de l’époque florissante de la Renaissance. Berdiaeff est convaincu que cette période n’a été possible que grâce à la concentration des forces spirituelles que permit le Moyen-Age. Le Moyen-Age est une période de culture qui est donc liée à un culte et à une symbolique forte. Mais de cette contemplation et de cette résignation, l’être humain passe au désir d’exalter la force vitale et il perd ainsi la curiosité de son moi intérieur. Pour Berdiaeff, la Renaissance est un peu comme la lune de miel de l’homme de l’histoire moderne. Ainsi l’homme passe petit à petit de la phase organique à la phase critique. C’est l’époque des Lumières où l’on passe de la contemplation à la jouissance. « Dans la vie de chaque peuple, l’époque des « lumières » est celle où la raison, sûre d’elle-même, se place au-dessus de ces mystères divins et immédiats de l’Etre, d’où jaillissent, comme de leurs sources, toutes les civilisations, toute la vie humaine. C’est en effet à ce moment que la petite raison des hommes tente de se poser en juge des secrets de la création du monde et du déroulement des évènements. »[13] Il faut dès lors écarter tout obstacle spirituel. La grande philosophie, le grand art et la symbolique religieuse ne sont plus nécessaires alors qu’une tendance utilitaire ou réaliste prend la place. La culture désintéressée se désanime et se transforme en une civilisation pragmatique, bourgeoise et superficielle. Petit à petit la pensée devient technique, ainsi que toutes les créations et tous les arts. Dès lors « toute la beauté de la culture extériorisée dans ses temples, ses palais et ses villas, est enfermée dans des musées qui ne contiennent plus que des cadavres de belles choses et qui sont les seuls liens qui rattachent la civilisation au passé. »13 Ainsi l’humanisme, d’abord chrétien, s’est éloigné de plus en plus de ces racines chrétiennes. On peut dire qu’en un sens, la modernité n’est rien d’autre que l’appropriation, pour ne pas dire exploitation, par l’homme de sa nouvelle liberté. C’est pourquoi il nous est difficile aujourd’hui de comprendre le génie d’un Dante car bien que révolutionnaire à son époque, son œuvre n’en reste pas moins ancrée dans une conception chrétienne.
L’homme, dans son illusion de puissance, est passé du type organique au type mécanique. Car « la machine semble soumettre la nature à l’être humain, mais en réalité c’est celui-ci qu’elle met sous sa dépendance ; si elle le libère sous un certain rapport, elle l’asservit sous d’autres. » 13 Dès lors cet humanisme porté jusqu’à l’auto affirmation devient un anti-humanisme, c’est là tout le paradoxe. Les deux grandes figures que sont Nietzsche et Marx ont tous deux à leur manière développer l’idée d’un surhomme qui finit malgré tout par s’autodétruire. Car l’humanisme a rendu l’homme individualiste si on le compare avec l’homme du Moyen Age qui n’existait pas en dehors de sa communauté. Naît alors de cette profonde solitude le désir d’appartenir à une collectivité. C’est la naissance du socialisme. « C’est parce que l’homme se trouve abandonné à lui-même, sans pouvoir compter sur l’aide ou sur le secours des autres, sans aucun lien avec eux, qu’il s’est vu obligé de se donner une organisation sociale à base de contrainte et de soumettre ses destinées à des mesures semblables. » 13 C’est en cela que le socialisme, et la démocratie en général, sont des systèmes qui contraignent l’homme à être solidaire d’une collectivité. « De plus, au lieu de délier il enchaîne la puissance de création humaine, il la soumet à un centre de contrainte ; il impose de nouveau à l’homme, que la Renaissance avait affranchi, une vie fondée sur une organisation et une réglementation de sujétion […] Le travail perd tout sens, toute justification et se révolte contre le système tout entier ; ainsi la civilisation capitaliste trouve dans le socialisme le châtiment qu’elle a mérité, elle garde son caractère bourgeois, car elle ne lui apporte aucun esprit nouveau. » 13
Il est plutôt difficile aujourd’hui de voir dans notre civilisation capitaliste une quelconque âme. A l’observer, il semble que l’argent soit le seul moteur qui gouverne les actions humaines. Et il est manifeste que la création artistique en souffre beaucoup.
Devant cette désillusion, il semblerait qu’il ne reste à l’homme d’aujourd’hui que l’option de s’évader par divers moyens de sa réalité et notre société de consommation ne manque pas d’exploiter cela en offrant à nos contemporains toutes sortes de moyens d’évasion :
« Dans l’organisation de l’existence tout semble réuni pour libérer l’individu de l’exigence de l’être-soi qu’il porte en lui. »[14]
Quelles autres alternatives nous restent-ils ? Selon Berdiaeff il serait absurde de vouloir revenir à la culture du Moyen-Age, même si certains obscurantistes religieux rêveraient d’un retour à la théocratie. Car « la restauration pure et simple de la culture est impossible, son style classique est incompatible avec le nouveau milieu créé dans lequel elle sera toujours romantique, tournée vers les époques religieuses et organiques du passé. Au 19e siècle, les meilleurs défenseurs de la culture étaient des romantiques, mais c’est la transfiguration religieuse qui constitue le seul moyen réel de la dépasser ainsi que la civilisation. »[15] Mais qu’entend-il donc par transfiguration religieuse ? Berdiaeff distingue quatre époques dans les destinées historiques de l’humanité. La barbarie, la culture, la civilisation et la transfiguration religieuse. Il admet que ces états différents peuvent coexister car ils expriment les diverses orientations de l’esprit humain, toutefois il semblerait que l’un ou l’autre ait dominé selon les périodes. Ainsi le christianisme lui-même serait passé par ces quatre stades. Il serait né de la transfiguration religieuse à la venue du Christ et se serait manifesté au travers des miracles puis serait passé par la barbarie, la culture du Moyen-Age et la civilisation que nous traversons et, selon Berdiaeff, cette transfiguration devrait revenir pour conduire les hommes vers la vie même.
Si cette grille de lecture apporte selon moi un regard pertinent sur notre condition actuelle, il me semble important de rajouter celle que la Bible propose à savoir que nous vivons actuellement sous la dispensation de la grâce. Avant la venue du Christ nous étions sous la loi mais par le Christ nous voilà sous la grâce, ce qui signifie que pour un temps Dieu ne nous juge pas mais il nous fait grâce. Voici sur quels versets le Christ reconnaît sa mission :
L’Esprit du Seigneur est sur moi, Parce qu’il m’a oint pour
annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; Il m’a envoyé
pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, Pour proclamer
aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de
la vue, Pour renvoyer libres les opprimés,
Pour publier une année de grâce du Seigneur. – Luc 4 : 18-19
…car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus–Christ. – Jean 1 : 17
Ce temps de grâce dure de la première venue à la seconde venue du Christ puisque à cette seconde venue le Christ viendra dans sa gloire et pour juger le monde. Si le chrétien comprenait bien cela, il comprendrait également que si Dieu laisse l’homme libre de venir à lui et ne le juge pas, ce n’est pas à l’homme d’user de force pour convertir son prochain, ce dont le chrétien s’est pourtant souvent rendu coupable.
L’avantage de notre époque postmoderne où l’idéologie chrétienne est souvent considérée comme démodée, emprisonnante et fausse, est que le chrétien se voit donc dans l’obligation de justifier tous ces allants de soi que l’Eglise a entretenu plusieurs siècles durant en jouant de l’autorité. Les chrétiens ont cette responsabilité aujourd’hui de comprendre ce que dit la Bible, qui malgré tout continue de prétendre qu’elle recherche l’affranchissement de l’homme.
Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres. – Jean 8 : 36
Mais à qui allez-vous faire croire cela ? Et pourtant, moi je le crois mais je reconnais que cela ne va pas de soi. La pensée chrétienne doit être réintroduite avec bien plus d’humilité. Peut-être la fraîcheur avec laquelle d’autres continents se réapproprient l’Evangile aujourd’hui éclairera nos manquements et nous fera voir avec de nouveaux yeux l’actualité et la pertinence de la Bonne Nouvelle.
Comment dire le christianisme ?
« Le christianisme a fait fausse route en voulant s’enfermer dans un système de preuves, de définitions arrêtées. Il transmet alors ces structures conceptuelles qui tiennent lieu de réalités vivantes. La rencontre est possible si le chrétien est un homme en recherche dont la foi est une quête, une découverte progressive du Christ historique et du Christ ressuscité vivant aujourd’hui, l’éternel se vivant dans le présent ; si l’au-delà est un mystère qu’on n’a jamais fini d’appréhender. Dites plus fort cette exigence d’une recherche continue… »[16]
- Gérard Gelas en 1972 lors du Festival d’Avignon
Encore une fois l’Eglise doit reconnaître ses erreurs et comprendre quel est son nouveau rôle au sein d’une société laïque et pluraliste. Gabriel Ringlet, prêtre et ancien vice-recteur de l’Université catholique de Louvain, s’attaque ici violemment à ce qu’il considère comme les deux principales dérives : Le cléricalisme et l’isolationnisme :
« Je ne supporte pas le cléricalisme. Je ne supporte pas qu’une fraction – qu’une faction ! – de la société prétende imposer sa vision à l’ensemble des citoyens. Je ne supporte pas qu’un groupe, d’où qu’il vienne, s’attribue ‘la légitimité et le monopole du discours vrai’. […]
L’isolationnisme, voilà l’autre ennemi ! car je ne supporte pas plus l’enfermement dans les sacristies. Cantonner la foi religieuse à la seule ‘vie privée’ est intenable. Que signifierait encore cette foi-là qui n’accompagnerait pas la pluralité de mes appartenances ? Que voudrait dire une foi-consolation qui ne vient rien déranger, rien interpeller, étrangère à mes engagements, à mes responsabilités, à mes amours, à mes combats ? »[17]
En ce sens la société elle-même a à se poser la question de la place qu’elle veut donner aux différentes convictions. Car une laïcité-assimilation qui cherche à faire de ces convictions un tout mixte et homogène ne fait pas droit à l’accueil des différences et risque au contraire de favoriser la montée des fondamentalismes et la multiplication des communautarismes.
Entre cette neutralité qui étouffe les convictions dans l’espace privé et cette arrogance qui a longtemps caractérisé le discours de l’Eglise, Gabriel Ringlet préfère une laïcité d’intégration ou de confrontation qui permet le dialogue et le débat. Selon lui, la laïcité est une bénédiction qui offre au christianisme la possibilité de se repenser et de se redécouvrir. Mais le chrétien sera-t-il seulement capable d’accueillir la pluralité et ne pas s’enfermer dans son dogmatisme ? Car si nos contemporains veulent du sens, ils se méfient de toute pensée normative. Gabriel Ringlet invite plutôt l’Eglise à proposer du sens mais sans l’enfermer. Un sens qui donne de l’air.
Si seulement, confie-t-il, cette Eglise « osait indiquer et non pas imposer. Si elle osait débattre. Si elle osait penser. Si elle osait inventer. Si elle osait se tromper. […] Pourquoi, quand on entre dans certains textes officiels, tout semble-t-il joué, fini, clôturé, ficelé ? Comme s’il ne restait qu’à appliquer… »[18]
Il regrette également que l’Eglise ait trop longtemps joué le rôle du mauvais berger qui, à l’inverse du Bon Berger, ne va pas chercher la brebis perdue mais se contente de garder les 99 autres jusqu’à que, s’éloignant les unes après les autres, il n’en reste plus qu’une. Si seulement l’Eglise se préoccupait un peu moins de chasser les ténèbres et un peu plus d’être cette lumière qu’elle est appelée à être. Si seulement elle savait un peu plus encourager le bien, explorer le beau et incarner le vrai, plutôt que de juger, de condamner ou d’interdire. Ne pensez pas que je fasse ici le procès de certains chrétiens. De toutes ses remarques que je fais, je me sens le premier concerné car je sais trop bien que ce sont là des tendances fortes qui ont toujours existé que ce soit dans le christianisme ou dans les autres religions. Les pharisiens à l’époque de Jésus étaient des hommes religieux respectés par le peuple. Malgré tout nous voyons que tout le long des Evangiles, ils n’ont cessé d’accuser, à l’image de leur père, le diable : Pourquoi tes disciples transgressent–ils la tradition des anciens et ne se lavent-ils pas les mains avant de manger ? Pourquoi tes disciples ne respectent-ils pas le jour du sabbat et font ce qui est interdit ? Comment te permet-tu d’accomplir une guérison le jour du sabbat ? Et la liste est longue. On voit bien dans ces accusations à quel point ces hommes sont prisonniers du dogmatisme et du formalisme. Formalisme dont le tort, nous dit le philosophe Maurice Merleau-Ponty, « n’est pas d’estimer trop la forme, mais de l’estimer si peu qu’il la détache du sens. »[19] C’est pourquoi, Jésus, dans ses réponses, ramène toujours du sens et discrédite leurs accusations. Il leur reproche en outre constamment leur hypocrisie. Car le dogmatisme n’est rien d’autre qu’une facilité, la facilité de ne plus se poser la question du sens, la facilité de pouvoir enfin enfermer la vérité dans une formule, « cette vérité toujours fuyante, qui me tire au-delà, me déchire, l’enfermer une bonne fois dans son petit cercueil et qu’on soit tranquille, qu’on la découpe, qu’on la débite… »[20] C’est pour cela que ces hommes n’ont pas reconnu dans le Christ la vérité, et c’est bien ce qu’il leur reproche :
Je sais que vous êtes la postérité d’Abraham ; mais vous
cherchez à me faire mourir, parce que ma parole ne pénètre
pas en vous.
Je dis ce que j’ai vu chez mon Père ; et vous, vous faites ce que vous avez entendu de la part de votre père.
Ils lui répondirent : Notre père, c’est Abraham. Jésus leur dit : Si vous étiez enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham.
Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a point fait.
Vous faites les œuvres de votre père. Ils lui dirent : Nous ne sommes pas des enfants illégitimes ; nous avons un seul Père, Dieu.
Jésus leur dit : Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne suis pas venu de moi–même, mais c’est lui qui m’a envoyé.
Pourquoi ne comprenez–vous pas mon langage ? Parce que vous ne pouvez écouter ma parole.
Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds ; car il est menteur et le père du mensonge.
Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas. – Jean 8 : 37-45
Il est temps de se demander quel genre de chrétiens nous voulons être. Car si nous croyons en une vérité révélée, cela veut-il forcément dire que nous détenons toutes les réponses ? Que la Bible soit vraie, veut-il forcément dire qu’elle contienne toute la vérité ? Oh non ! Elle n’est que le début de la Révélation. Jésus le dit clairement à ses disciples peu avant sa mort :
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne
pouvez pas les porter maintenant.
Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de lui–même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. – Jean 16 : 12-13
Et si la Bible ne peut contenir à elle seule toute la vérité, alors la Révélation continue de se faire encore aujourd’hui et elle se fait au travers d’une relation avec le Christ et à l’écoute du Saint Esprit tout comme elle continuera d’ailleurs de se faire dans l’éternité.
Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus–Christ. – Jean 17 : 3
Tout cela a l’air simple mais je mesure bien le défi gigantesque qui attend les chrétiens et l’Eglise mais aussi la société tout entière. Car selon Gabriel Ringlet, il n’y a « pas de fécondité nouvelle si chacun n’accepte pas de sortir et de traverser la parole de l’autre. C’est bien cela que signifie, étymologiquement, dialoguer. »[21]
Mais attention, dialoguer ne signifie pas faire de la démagogie ou édulcorer le message chrétien pour le rendre plus attrayant ou moins exigeant. Mais alors comment partager l’Evangile ? « Comment partager sereinement une parole entrée comme une effraction dans la sphère du confort spirituel ? Une parole qui nous vient de plus loin que nous, et qui n’est pas une simple parole de consolation. Car la religion n’est pas là pour donner bonne conscience ou récupérer les angoisses. Elle a mission d’inquiéter l’homme, au beau sens du mot inquiétude, de le tenir debout, éveillé, ouvert, ce qui, j’en conviens, n’est pas du tout reposant. Mission, aussi, de « faire chemin contre elle-même » dit Ricoeur et de lutter contre son propre fondamentalisme. »[22]
Voilà donc deux missions bien délicates qui reviennent au chrétien. Elles visent, selon moi, à empêcher l’homme de s’installer dans le confort des extrêmes que sont le relativisme et le fondamentalisme, car ce n’est qu’en dehors de ces extrêmes que peut naître une foi authentique.
La deuxième mission, nous l’avons vu plus haut, consiste à lutter contre le dogmatisme et permettre à l’homme d’accepter l’inconfort et la richesse d’une Révélation continue. Nous voyons bien que l’Eglise a encore du chemin à faire pour se l’approprier.
Quant à la première mission, c’est ce qu’on appelle « la Grande Mission » que Jésus donne aux croyants, celle que l’on nomme plus communément l’évangélisation. Je suis bien conscient que ce terme fait peur aujourd’hui, et cela pas seulement à cause des Croisades mais à cause de toute la maladresse des chrétiens. Certains s’imaginent que plus ils crieront fort et plus ils auront l’occasion de témoigner de leur foi, le mieux ils s’acquitteront de leur mission. C’est oublier que l’Evangile, avant de se témoigner, se vit et qu’il incombe d’abord aux chrétiens d’être des exemples vivants du message qu’ils véhiculent :
Je vous donne un commandement nouveau: Aimez–vous les
uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez
vous les uns les autres.
A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. – Jean 13-34
Mais malheur à vous, pharisiens ! parce que vous payez la
dîme de la menthe, de la rue, et de toutes les herbes, et que
vous négligez la justice et l’amour de Dieu : c’est là ce qu’il
fallait pratiquer, sans omettre les autres choses. – Luc 11 : 42
Malheur à vous aussi, docteurs de la loi ! parce que vous
chargez les hommes de fardeaux difficiles à porter, et que
vous ne touchez pas vous–mêmes de l’un de vos doigts. – Luc 11 : 46
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que
vous fermez aux hommes le royaume des cieux ; vous n’y
entrez pas vous–mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui
veulent entrer. – Matthieu 23 : 13
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que
vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte ; et,
quand il l’est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux
fois plus que vous. – Matthieu 23 : 15
Pas besoin en effet d’aller chercher la condamnation de l’Eglise et des chrétiens ailleurs que dans les Evangiles car le Christ a pris soin d’observer les religieux de son temps et ce n’est pas en eux qu’il a reconnu ses frères. Le message de l’Evangile, j’en suis convaincu, est révolutionnaire, mais il ne le sera vraiment au dehors que quand il aura révolutionné le cœur de ceux qui le professent :
Voici, les jours viennent, dit l’Eternel, où je châtierai tous les circoncis qui ne le sont pas de cœur – Jérémie 9 : 25
Car ce n’est rien que d’être circoncis ou incirconcis ; ce qui est quelque chose, c’est d’être une nouvelle créature. – Galates 6 : 15
Il n’est point nécessaire d’être pédagogue pour savoir que la meilleure manière de faire un bon disciple est d’être pour lui un bon exemple. Le chrétien veillera donc en premier lieu à être un témoignage vivant :
Petits enfants, n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais
en actions et avec vérité.
Par là nous connaîtrons que nous sommes de la vérité, et nous rassurerons nos cœurs devant lui – 1 Jean 3 : 18
Cela étant dit, on peut constater aujourd’hui deux manières de témoigner de sa foi. Le courant
missionnaire qui est prêt à évangéliser par tous les moyens et le silence dans lequel beaucoup
de chrétiens se réfugient aujourd’hui. Gabriel Ringlet y voit quatre formes différentes de
silence chez les chrétiens. Le silence d’hésitation qui traduit un manque de confiance dans sa
propre foi, le silence de méfiance qui estime que les chrétiens ont déjà trop parlé et qu’il faut
s’y prendre autrement, le silence de respect qui préfère la tolérance et l’accueil des autres
convictions et le silence d’interrogation qui se demande pourquoi vouloir à tout prix convertir.
Gabriel Ringlet propose quant à lui un cinquième silence qu’il nomme de témoignage et qui
invite certes à ne pas trop parler mais à ne pas se taire non plus. Il s’agit plutôt de choisir les
mots justes. Il cite à cette occasion Lucien Guissard :
« Ne parle pas trop. Quand on a reçu le vent, cela se voit sur le visage. »[23]
Cela rejoint finalement assez bien le fait qu’une foi vécue avec authenticité est déjà un
témoignage à elle seule.
Il me semble à ce propos important de nuancer l’idée d’un ministère de conversion auquel
beaucoup de chrétiens se sentent appelés, et qui transmet l’idée que nous sommes sensés
convertir les païens. Cela est à la base de toutes les dérives de l’Eglise qui n’a pas hésité à
convertir par la force. Je crois pour ma part qu’il n’est pas dans le pouvoir d’un homme de
convertir un autre homme et que seul l’Esprit peut convaincre le pécheur qui librement reçoit
ou non une révélation. Il me semble dès lors plus approprié de parler d’un ministère de la
réconciliation.
Et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par
Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation.
Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-
même, en n’imputant point aux hommes leurs offenses, et il a
mis en nous la parole de la réconciliation.
Nous faisons donc les fonctions d’ambassadeurs pour Christ, comme si Dieu exhortait par nous ; nous vous en supplions au nom de Christ : Soyez réconciliés avec Dieu ! – 2 Corinthiens 5 : 18-20
Gabriel Ringlet propose également aux croyants de se mettre parfois en retrait et de laisser les autres s’approprier l’Evangile, car, dit-il, « le poème évangélique n’est qu’une petite parole d’une parole plus large. Chacun peut le reprendre, le raconter, le réinventer. L’Eglise, qui l’a beaucoup servi et beaucoup trahi, n’a pas le monopole de l’interprétation. Le poème de l’Evangile n’appartient à personne, pas même à l’Evangile, dit Feillet. Et l’écoute de toute l’humanité est nécessaire pour qu’il atteigne sa portée. […] Et lorsque des voix trop bavardes prétendent la porter [la parole] comme un étendard, elle s’enfuit. Elle se méfie des porte-parole. Quand ils approchent, elle s’éclipse, elle se faufile, elle se cache sous terre, elle continue à couler, à chanter. […] Cela veut dire que le récit biblique doit aussi se faire grec avec les Grecs et africain avec les Africains, s’enraciner et se perdre, comme le levain dans la pâte et comme on dit que Jésus se perdait dans la foule. »[24]
Nous voyons par-là que ce dialogue commence par un voyage à faire qui permette de mieux comprendre l’autre. Gabriel Ringlet parle d’une hospitalité des convictions. Je me risque au dehors et accepte d’être accueilli chez l’autre, de dépendre de lui. Je me mets si l’on veut dans une position de faiblesse, de fragilité. J’accepte de sortir de mon confort pour être reçu chez l’autre.
Le chrétien doit par ailleurs reconnaître qu’il est aujourd’hui, en Europe du moins, redevenu minoritaire et qu’il n’est plus en position de force. Il doit réussir à voir cela comme une richesse puisque cela le renvoie à la condition des premiers chrétiens lorsque le christianisme n’était pas encore devenu une religion officielle. Une occasion lui est donnée de repenser son rapport au monde. Est-il encore adéquat de prêcher l’Evangile du haut de sa chaire dans des églises à moitié vides ? Il est fini ce temps où les hommes d’Eglises étaient les seuls instruits et donc les seuls habilités à enseigner le peuple. Gabriel Ringlet nous invite à s’intéresser à la beauté de l’Evangile, à sa dimension esthétique et poétique. L’Evangile n’est pas plus vrai qu’il n’est beau. Or, pour l’écrivain Jean Sulivan, les prêtres, quand ils parlent de Dieu lui font penser à des gens qui jouent du piano avec un seul doigt. Mais alors comment élargir cette parole, comment la raconter autrement ? Pourquoi d’ailleurs séparer éthique et esthétique ? Pourquoi ne pas faire appel à l’art ? C’est en tout cas la conviction de Gabriel Ringlet :
« Le christianisme a un besoin vital du roman, du théâtre, de la musique, de la poésie, du cinéma, de l’architecture, des arts plastiques et picturaux… Non pas pour y chercher des thèmes, un accrochage, une manière de mieux illustrer ou faire passer son message, mais pour se laisser prendre par une histoire, pour entrer dans une intrigue, pour vivre avec des personnages de chair et de sang, pour épouser les hauts et les bas d’une vie d’homme confrontée à la complexité de l’existence. » […] Qu’on ne s’y trompe pas : je ne suis pas en train de parler de ‘littérature chrétienne’ (qu’est-ce que c’est ?) ou de ‘nouvelle approche pastorale’. Si je me bats depuis des années pour un christianisme plus ‘poétique’ et pour une Eglise plus ouverte à l’imaginaire, ce n’est pas par souci esthétique ou par préoccupation de modernité, mais pour un éveil, pour un retournement, pour une mise en cause. J’irai jusqu’à dire : pour une ‘révélation’. »[25]
L’art, en ce cas, n’est pas simplement un moyen de se déguiser ou de déguiser un message, il porte en lui la capacité de l’éclairer, de le révéler sous d’autres facettes et donc de l’enrichir. Cela, j’en suis moi-même convaincu, mais il s’agit maintenant de comprendre comment et pourquoi. C’est donc ici que s’achève cette première partie qui avait pour but de revisiter le christianisme et son message, de vous en donner peut-être un autre regard et cela pour mieux comprendre ce que l’art et le théâtre peuvent lui apporter.
III
L’incompréhension de l’Eglise en raison de son art
Comprendre la fonction de l’art (et des artistes)
« L’artiste, disait-il [Kandinsky] doit exprimer sa personnalité, l’époque dans laquelle il vit, et « l’éternel », ce qui appartient à tous les temps et à toutes les cultures. Et ce qui est objectif – ce que j’ai appelé l’universel – doit être révélé par des moyens subjectifs »[26]
Je n’ai pas ici la prétention de redéfinir l’art ou même d’en donner une définition complète. J’ai plutôt envie de mettre en lumière quelques notions qui me semblent importantes pour comprendre le rôle de l’art. Certains l’utiliseront pour décorer, pour porter un propos ou un message ou tout simplement pour divertir et certains vous diront que l’art possède sa propre validité en soi et n’a donc pas besoin de trouver sa justification dans un rôle particulier. Si vous interrogez plusieurs artistes, vous obtiendrez vraisemblablement des réponses différentes et c’est très bien ainsi.
Il faut savoir tout d’abord que les mots artistes et artisans étaient synonymes encore jusqu’à la fin du XVIIème siècle. On ne différenciait donc pas ce que l’on a appelé plus tard les beaux-arts et les arts appliqués, les premiers ayant davantage une valeur esthétique auxquels l’artiste s’adonnait pour son plaisir et les seconds ayant une valeur utilitaire et qui constituait un métier pour l’artisan. On peut se demander aujourd’hui si cette séparation ne nous a pas fait perdre quelque chose dans l’art que nous avions autrefois. Il suffit de se promener dans certaines vieilles villes pour constater qu’à côté nos villes contemporaines manquent terriblement d’âme.
L’art, à l’origine ne signifie rien d’autre qu’un savoir-faire, qu’une technique ou une méthode pour accomplir un ouvrage quel qu’il soit. Ainsi on admettait que certaines personnes possédaient l’art de faire telle ou telle chose. Dans la Bible, il y a très peu de références à l’artiste ou à son rôle mais on trouve dans l’Exode un petit passage où Dieu recommande un homme pour s’occuper de certains travaux dans la construction du temple :
Sache que j’ai choisi Betsaleel, fils d’Uri, fils de Hur, de la
tribu de Juda.
Je l’ai rempli de l’Esprit de Dieu, de sagesse, d’intelligence, et de savoir pour toutes sortes d’ouvrages,
je l’ai rendu capable de faire des inventions, de travailler l’or, l’argent et l’airain de graver les pierres à enchâsser, de travailler le bois, et d’exécuter toutes sortes d’ouvrages. – Exode 31 : 2-5
Apparaît dans ces versets l’idée, encore présente aujourd’hui, que l’artiste posséderait un don, quelque chose d’inné qui le rendrait capable de faire certaines choses mieux que le commun des mortels. On voit également que ce don se traduit par une inspiration, une sagesse, une intelligence et une connaissance particulières. On retrouve cette idée de l’inspiration chez Platon :
« C'est chose légère que le poète, ailée, sacrée: il n'est pas en état de créer avant d'être inspiré par un dieu, hors de lui, et de n'avoir plus sa raison; tant qu'il garde cette faculté, tout être humain est incapable de faire oeuvre poétique et de chanter des oracles. »[27] - Platon, Ion.
Ici, Platon amène l’idée que l’artiste, en particulier le poète, doit laisser de côté sa raison et laisser place à une sorte d’inspiration divine ou du moins à ce qu’on appellerait aujourd’hui l’imagination. Shakespeare le formule parfaitement dans « Le songe d’une nuit d’été » au travers d’un de ses personnages :
« L’œil du poète, roulant dans un parfait délire,
Va du ciel à la terre, et de la terre au ciel.
Et quand l’imagination accouche
Les formes de choses inconnues, la plume du poète
En dessine les contours, et donne à ce qui n’est qu’un rien en l’air
Une demeure précise, et un nom. »[28]
Quand on lit ces lignes, on a vraiment l’impression que l’artiste est appelé à lâcher tout contrôle pour s’abandonner à son imagination ou même à une sorte de délire. On comprend bien dès lors que les artistes aient longtemps inspiré une sorte de peur à l’Eglise et aux chrétiens. Kant, dans la « Critique du jugement » parle lui d’une sorte d’esprit qui accompagnerait le génie.
"C'est pour cela sans doute que le mot génie a été tiré du mot genius, qui signifie l'esprit particulier qui a été donné à un homme à sa naissance, qui le protège, le dirige et lui inspire des idées originales."27 - Kant, Critique du jugement.
Et André Gide d’ajouter qu’« il n’y a pas d’œuvre d’art sans collaboration du démon. »[29]
Même si Claudel se permet de nuancer quelque peu cette dernière citation :
« Il le prenait comme le démon de Socrate, une espèce de génie qui n’est ni bon ni mauvais, qui est une espèce de ludion qui excite les imaginations, mais il ne le prenait pas dans le sens biblique ou, du moins, il faisait semblant de ne pas le prendre… »29
Pourtant si Claudel voyait dans l’affirmation de Gide une sorte de provocation faite aux chrétiens, il n’en était pas moins effrayé par la vocation artistique :
« La vocation artistique est une vocation excessivement dangereuse et à laquelle très peu de gens sont capables de résister. L’art s’adresse à des facultés de l’esprit particulièrement périlleuses, à l’imagination et à la sensibilité, qui peuvent facilement arriver à détraquer l’équilibre et à entraîner une vie peu d’aplomb. […]
Ah !… Je ne peux pas dire que la vie d’un artiste, ou la vocation artistique, soit heureuse au point de vue de la vie d’un être humain. Je crois que c’est une chose exceptionnelle, que, vraiment, on ne peut souhaiter à personne. C’est une vocation en marge, c’est une vocation qui n’a rien de désirable. Je vous le dis avec d’autres exemples devant mes yeux, d’exemples proches de moi, autre que celui de ma sœur. Il est bien rare que la vocation artistique soit une bénédiction. » 29
On voit donc bien que tout ce questionnement ne se base pas uniquement sur des fables mais qu’il y a quelque chose dans l’art et chez l’artiste qui effraie, qui touche à la folie et qui nourrit l’imaginaire collectif.
Faut-il y voir pour l’artiste une sorte de rôle prophétique ? Plusieurs n’hésitent pas à l’affirmer, comme R.G. Collingwood :
« L’artiste doit prophétiser, non pas dans le sens qu’il peut prévenir l’avenir, mais dans la mesure où il décrit à ses auditeurs les secrets de leurs cœurs, au risque de leur déplaire. »[30]
Il y a en tout cas des similitudes nettes dans le fait qu’ils se tiennent tout deux aux abords du monde dans lequel ils vivent. Ils se tiennent comme en retrait pour mieux pouvoir observer leurs contemporains et leur renvoyer un miroir. Ainsi on voit dans l’Ancien Testament plusieurs prophètes être appelés par Dieu à accomplir des sortes de performances ou des actes symboliques afin de susciter des réactions et des prises de conscience au sein du peuple de Dieu. Le prophète Ezéchiel dut par exemple manger un rouleau, symbolisant le fait qu’il avait pour mission de communiquer la parole de Dieu :
Il me dit : Fils de l’homme, nourris ton ventre et remplis tes entrailles de ce rouleau que je te donne ! Je le mangeai, et il fut dans ma bouche doux comme du miel.
Il me dit : Fils de l’homme, va vers la maison d’Israël, et dis–leur mes paroles !
Car ce n’est point vers un peuple ayant un langage obscur, une langue inintelligible, que tu es envoyé ; c’est à la maison d’Israël.
Ce n’est point vers de nombreux peuples ayant un langage obscur, une langue inintelligible, dont tu ne comprends pas les discours. Si je t’envoyais vers eux, ils t’écouteraient.
Mais la maison d’Israël ne voudra pas t’écouter, parce qu’elle ne veut pas m’écouter ; car toute la maison d’Israël a le front dur et le cœur endurci.
Voici, j’endurcirai ta face, pour que tu l’opposes à leur face ; j’endurcirai ton front, pour que tu l’opposes à leur front.
Je rendrai ton front comme un diamant, plus dur que le roc. Ne les crains pas, quoiqu’ils soient une famille de rebelles. – Ezéchiel 3 : 3-9
Ces versets nous montre à quel point le prophète avait ce rôle de médiateur entre Dieu et les hommes, ce qui fait qu’il était le plus souvent rejeté voire persécuté, car comme le Christ le dira quelques siècles plus tard, « aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie. »
Combien de grands écrivains n’ont pas essayé au travers de leur œuvre de dénoncer le régime totalitaire sous lequel ils vivaient ou les injustices dont ils étaient témoins et que tout le monde taisait, et qui se trouvèrent persécutés ou réduits au silence. Ce n’est souvent qu’après leur mort qu’on reconnut leur courage et qu’ils furent réhabilités. De même, ce n’est que bien plus tard que les prophètes furent reconnus justes au sein du peuple d’Israël. On voit aussi plus loin la lourde responsabilité qui revient au prophète d’avertir :
Fils de l’homme, je t’établis comme sentinelle sur la maison d’Israël. Tu écouteras la parole qui sortira de ma bouche, et tu les avertiras de ma part.
Quand je dirai au méchant : Tu mourras ! si tu ne l’avertis pas, si tu ne parles pas pour détourner le méchant de sa mauvaise voie et pour lui sauver la vie, ce méchant mourra dans son iniquité, et je te redemanderai son sang.
Mais si tu avertis le méchant, et qu’il ne se détourne pas de sa méchanceté et de sa mauvaise voie, il mourra dans son iniquité, et toi, tu sauveras ton âme. – Ezéchiel 3 : 17-19
Plus loin il est encore demandé à Ezéchiel de faire toutes sortes d’actes symboliques parfois même repoussants, et tout cela pour révéler au peuple l’impureté de leur cœur :
Et toi, fils de l’homme, prends une brique, place–la devant toi, et tu y traceras une ville, Jérusalem.
Représente–la en état de siège, forme des retranchements, élève contre elle des terrasses, environne–la d’un camp, dresse contre elle des béliers tout autour.
Prends une poêle de fer, et mets–la comme un mur de fer entre toi et la ville ; dirige ta face contre elle, et elle sera assiégée, et tu l’assiégeras. Que ce soit là un signe pour la maison d’Israël !
Puis couche–toi sur le côté gauche, mets–y l’iniquité de la maison d’Israël, et tu porteras leur iniquité autant de jours que tu seras couché sur ce côté.
Je te compterai un nombre de jours égal à celui des années de leur iniquité, trois cent quatre–vingt–dix jours ; tu porteras ainsi l’iniquité de la maison d’Israël.
Quand tu auras achevé ces jours, couche–toi sur le côté droit, et tu porteras l’iniquité de la maison de Juda pendant quarante jours ; je t’impose un jour pour chaque année.
Tu tourneras ta face et ton bras nu vers Jérusalem assiégée, et tu prophétiseras contre elle.
Et voici, je mettrai des cordes sur toi, afin que tu ne puisses pas te tourner d’un côté sur l’autre, jusqu’à ce que tu aies accompli les jours de ton siège.
Prends du froment, de l’orge, des fèves, des lentilles, du millet et de l’épeautre, mets–les dans un vase, et fais–en du pain autant de jours que tu seras couché sur le côté ; tu en mangeras pendant trois cent quatre–vingt–dix jours.
La nourriture que tu mangeras sera du poids de vingt sicles par jour ; tu en mangeras de temps à autre.
L’eau que tu boiras aura la mesure d’un sixième de hin ; tu boiras de temps à autre.
Tu mangeras des gâteaux d’orge, que tu feras cuire en leur présence avec des excréments humains.
Et l’Eternel dit : C’est ainsi que les enfants d’Israël mangeront leur pain souillé, parmi les nations vers lesquelles je les chasserai. – Ezéchiel 4 : 1-13
Cela me fait penser aux performances qui étaient faites dans la rue dans les années soixante et qui avaient pour but de provoquer, même s’il s’agissait également d’explorer les limites de l’art et d’expérimenter de nouvelles choses. Ainsi John Lennon et Yoko Ono restèrent dans leur lit pendant deux semaines entourés de journalistes et cela dans le but de dénoncer la guerre, et en particulier celle du Vietnam. Ils disaient que plutôt que de faire la guerre, il valait encore mieux rester au lit toute la journée. De même on a vu durant l’histoire, particulièrement au Moyen-Age et dans l’Est de l’Europe, ce qu’on a appelé des fols en Christ. Ils étaient généralement moines et passant la journée en prière, ils sortaient la nuit dans les rues pour accomplir des actes absurdes, que ce soit de se promener nus par un temps glacial, de se mettre le feu ou de tourner autour de prostituées. Ils cherchaient par-là à montrer à leurs contemporains combien leurs querelles étaient absurdes et leurs mœurs déréglées.
On voit que Dieu demanda également au prophète Osée de prendre pour femme une prostituée. Par-là il voulait montrer qu’il avait fait alliance avec un peuple qui ne cessait de le tromper avec d’autres dieux. On touche ici donc plus à l’idée d’une sorte de théâtre qui fonctionne comme un révélateur par transposition comme on peut le voir utilisé dans « Hamlet » de Shakespeare lorsqu’il est question d’une représentation du crime commis contre son père donnée devant les présumés assassins.
Mais si le théâtre fonctionne ici comme un miroir, le rôle de l’art est-il nécessairement d’imiter la nature ? La plupart sont catégoriques à ce sujet : l’art ne se borne pas à imiter.
"D'une façon générale, il faut dire que l'art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature, et qu'il ressemble à un ver qui s'efforce en rampant d'imiter un éléphant". Hegel, Esthétique.[31]
Malraux pense d’ailleurs plutôt à l’art comme étant en opposition avec la nature :
"L'art naît... de la fascination de l'insaisissable, du refus de copier des spectacles, de la volonté d'arracher les formes au monde que l'homme subit pour les faire entrer dans celui qu'il gouverne... Les grands artistes ne sont pas les transcripteurs du monde, ils en sont les rivaux."31 Malraux, Les Voix du silence.
Il y a donc bel et bien l’idée d’une lutte avec la matière tout comme elle existe chez l’artisan qui utilise une matière première naturelle et la transforme à d’autres fins. On ressent bien également ici l’idée de l’artiste créateur qui défie le Dieu créateur et qui se place en rival.
Le Senne, quant à lui, dans son traité de morale, amène plutôt l’idée de l’art comme pouvant aider l’homme à comprendre la création.
"C'est l'art qui, loin d'imiter la nature, ne s'en inspire que pour la faire comprendre"31. Le Senne, Traité de morale.
C’est exactement cela que nous explique Claudel lorsqu’il répond à la question de Jean Amrouche sur ce qu’il pense être sa fonction de poète parmi l’univers créé :
« Ah, là, elle est très simple, elle est d’en dégager le sens, n’est-ce pas, c’est aussi une idée mallarméenne que j’ai développée, que j’ai employée à ma manière. Le monde étant une matière, il s’agit d’en dégager le sens, et comme je suis chrétien, pourquoi en dégager le sens ? c’est pour un sacrifice offert à Dieu. Le monde est une immense matière qui attend le poète, si vous voulez, pour en dégager le sens et pour le transformer en action de grâce. Telle est la conception que je me fais du monde. »[32]
L’art amène plus, il ouvre vers plus, il indique une autre réalité que celle que nous observons et comme nous dit le peintre Paul Klee, au lieu de se contenter de reproduire ce qui est visible, il rend visible. Irions-nous jusqu’à dire que l’art montre une vérité plus vraie que la réalité ? C’est bien ce que le peintre Marc semble vouloir nous dire :
« L’aspiration pour l’Etre indivisible, pour la libération de la déception sensorielle de notre vie éphémère, tel est l’objectif de tout art. […] Les vrais artistes s’efforcent de créer dans leur œuvre les symboles de leur temps qui orneront les autels de la religion spirituelle à venir et derrière lesquels disparaîtront les aspects techniques. »[33]
L’art permet en ce sens d’entrevoir une autre réalité qui nous dépasse. C’est pourquoi les plus grandes œuvres d’art portent en elle un caractère symbolique qui montre que l’homme est fait pour une réalité plus élevée que celle de ce monde. D’une certaine manière la réalité se présente à nous d’une façon opaque, impersonnelle et c’est l’interprétation de l’artiste qui rend cette réalité plus vraie ou en tout cas plus nourrie, plus étoffée, plus riche, plus intéressante. Elle offre un regard sur cette réalité. En ce sens l’art n’est pas davantage qu’un dialogue entre deux personnes qui décrivent une même chose mais selon un angle de vue différent. L’art est un partage, il ne se veut pas vrai mais il crée une vérité et il enrichit la réalité commune. C’est en ce sens qu’il s’agit d’une vérité plus vraie que la réalité et qu’Oscar Wilde pouvait dire : « La vie imite l'art, bien plus que l'art n'imite la vie »[34]
On peut dire que d’une certaine manière l’art jette un pont entre deux mondes, entre notre réalité et une réalité qui nous dépasse. C’est pourquoi le naturalisme excessif tout comme l’abstraction extrême ne racontent rien. Le premier se veut conforme à la réalité mais il ne l’enrichit en rien et nie même qu’il puisse y avoir une autre dimension à cette réalité. Le second, quant à lui, tend tellement vers l’universalité qui transcende le particulier qu’il en perd son contact avec le réel, avec l’humain. Car l’art n’est réellement un partage que s’il touche à l’universel au travers du particulier, s’il touche à l’objectif au travers du subjectif.
C’est pratiquement mot pour mot ce que je vous expliquais en première partie à propos de la foi. Une foi qui tend vers l’absolu mais qui reste malgré tout bien ancrée dans la réalité. C’est en ce sens que l’art et la foi se rejoignent si intimement et encore pourquoi, nous dit Maurice Béjart, l’artiste ne peut créer que par la foi :
« Tous les créateurs, quels qu’ils soient, ne peuvent créer que par la foi et grâce à la foi.
Il est évident que toutes les grandes œuvres dépassent les artistes. L’œuvre est le résultat à la
fois d’une situation sociale, où la collectivité participe de façon occulte et silencieuse, et à la
fois d’une participation avec cette chose que je ne voudrais pas nommer. Appelez-là : la nature, la vie, qui est une chose aussi vivante que vous, Dieu qui est parmi vous et qui fait un tout. Les deux choses donnent la création. »[35] - Maurice Béjart
Un véritable art chrétien, nous dit Berdiaeff, n’a pas pour vocation de représenter la perfection, comme dans le classicisme, mais il est profondément symbolique, « or toutes les réalisations de ce genre sont imparfaites et manquent toujours de clarté, parce qu’elles ne sont destinées qu’à indiquer l’existence d’une perfection qui se trouve au delà de leurs limites. Le symbole est un pont jeté entre deux mondes, il nous apprend que la forme parfaite est impossible dans le cercle fermé qu’est notre vie ici-bas. »[36]
L’exemple d’un art typique de ceci est l’œuvre de Botticelli qui fut un des plus grands peintres du Quattrocento et dont les personnages paraissent comme arrachés à leur monde. On disait de ses Madones qu’elles avaient quitté le ciel et de ses Venus qu’elles avaient quitté la terre. Il exprime à merveille cette tension entre la tentation du paganisme et celle du christianisme qui caractérise la Renaissance. En architecture la comparaison entre l’architecture classique et l’architecture gothique est également révélatrice. La première visant la perfection, la seconde s’excusant de n’y point parvenir ici-bas. La première étant prétentieuse, la seconde, au contraire, assumant son imperfection mais compensant avec une profondeur d’âme.
C’est pour cela aussi que l’art s’intéresse davantage aux côtés sombres de la nature humaine et à ses échecs, car l’art authentique se refuse à occulter une réalité sous prétexte qu’elle n’est pas noble et c’est ce que les chrétiens ont encore de la peine à comprendre. Ils voudraient d’un art victorieux, flamboyant, parfait qui puisse rendre gloire à Dieu. C’est méconnaître que Dieu se glorifie bien plus au travers de nos faiblesses.
D’un autre côté, il faut bien reconnaître que l’art moderne et la grande partie de l’art contemporain échouent également et ne savent souvent montrer l’homme que de manière limitée. Si Jaspers reconnaît qu’il existe des œuvres fabuleuses, elles manquent toutes pour lui d’une certaine moelle qui donnait jadis aux réalisations même moins réussies un caractère essentiel. Il manque à l’art contemporain sa part de transcendance parce que notre période n’a pas encore découvert son style et c’est pourquoi l’art reste trop souvent lié à des fins utilitaires. Pour lui « il lui manquera toujours ce qui a été propre aux époques dotées d’une substance morale inébranlable, la contrainte d’un contenu. Son caractère essentiel c’est d’être un chaos déguisé sous une virtuosité extérieure. » [37]
En ce sens, nous dit Rookmaaker, « l’art moderne est vrai et représente la vérité, car il est l’expression même d’une réalité : réalité dans laquelle Dieu est mort, et par conséquent l’homme aussi est en train de mourir, dépouillé de son humanité, de ce qui fait de lui un homme, sa personnalité et son individualité. […] Et pourtant, c’est aussi un mensonge. Le portrait qu’il trace de la réalité et de l’homme, n’est pas conforme à la vérité. L’homme n’est pas absurde… »[38]
Un art véritable, s’il doit regarder ce monde sans naïveté ou hypocrisie, se doit également de porter les regards au delà de ce constat et de chercher à le sublimer. Car « aujourd’hui comme jadis, la fonction de l’art devrait être de rendre sensible la transcendance, comme sans le vouloir, sous la forme qu’elle revêt aux yeux de l’homme contemporain. […] Jadis l’art s’adressait à l’homme dans sa totalité…il aidait l’homme à se rendre présent à lui-même dans sa transcendance. Le monde – que l’art avait pour mission de transfigurer – étant aujourd’hui morcelé, la question est de savoir où le créateur peut encore découvrir l’être authentique qui reste dissimulé mais auquel il lui appartient d’apporter la conscience et l’épanouissement. »[39]
Voilà la mission qui incombe également à l’homme de théâtre chrétien. Car si des auteurs comme Shakespeare ont réussi à saisir le tragique de l’homme de leur époque et à nous transmettre un enseignement encore valable aujourd’hui, il nous restera toujours la lacune de n’avoir pas su pénétrer notre propre monde et le tragique de l’homme d’aujourd’hui.
Comprendre le théâtre (et ses particularités)
« Sommes-nous condamnés, nous les artistes de la scène, à cause de la matérialité de notre corps, à être éternellement et uniquement au service d’une réalité grossière et à n’exprimer qu’elle ? […] Pourquoi nous autres comédiens ne pouvons-nous pas nous défaire de la matière, pourquoi ne pouvons-nous être désincarnés ? Il faut que nous cherchions ; il faut travailler notre corps pour le délester de sa matérialité […] Le son d’un organe humain serait-il si matériel et grossier qu’il ne puisse exprimer ce qui est abstrait, noble, élevé, […] le malheur du monde, le mystère d’Etre, l’éternel ? »[40] - Constantin Stanislavski
Grotowski a été l’un des grands maîtres du XXème siècle en ce qui concerne l’utilisation du théâtre comme champ d’investigation de l’expérience humaine. Il était convaincu que le théâtre devait être le lieu où l’esprit et le corps, où le spirituel et le physique pouvaient être réconciliés aux yeux de l’homme, car il pensait qu’en réalité ces deux choses étaient indivisibles. En ce sens, il se place clairement dans la continuité de l’idée que nous développions précédemment d’un art capable d’offrir à l’homme une vision plus complète de lui-même, une vision unifiée. On a pu opposer sa méthode à celle de Stanislavski, en pensant que ce dernier avait cherché à faire du théâtre naturaliste, or ce que Stanislavski nous dit ici semble bien prouver le contraire :
« Le temps est venu de porter à la scène l’irréel. Ce n’est pas la vie telle qu’elle est, telle qu’elle s’écoule en fait que la scène doit peindre, mais la vie dont nous avons confusément l’intuition dans nos songes, dans nos visions, dans nos moments d’exaltation. »40
Le théâtre ne fait donc pas exception, il a lui aussi vocation de nous faire porter les regards vers une autre réalité. Et au théâtre, c’est principalement le comédien, avant les autres éléments de la représentation, qui se tient à la frontière. Il doit généralement interpréter un texte, lui donner vie sur scène. Cela peut se rapprocher d’ailleurs de l’interprétation que propose un musicien d’une partition musicale. Ecoutons ce que l’écrivain Alessandro Baricco dit de l’interprétation :
« Toute interprétation est la contrepartie d’un mystère. Seules suscitent l’instinct d’interprétation les œuvres qui, d’une manière ou d’une autre, se transcendent elles-mêmes en renvoyant à quelque chose de plus que ce qu’elles énoncent. Et l’interprétation est le lieu où s’articule ce plus, où il peut se manifester. Elle est cette zone de frontière : terre qui n’appartient à personne, qui n’est plus celle de l’œuvre mais pas encore celle du monde qui l’accueille. »[41]
C’est pourquoi on parle généralement d’une pièce de théâtre comme d’un texte troué que le comédien, par son jeu, est appelé à combler. L’interprète, nous dit Baricco, ne comble pas les trous par l’expression de ses sentiments ou de sa subjectivité, il libère simplement un mouvement ou une vie qui existe en puissance à l’intérieur du texte. En cela, le comédien ne montre pas sa propre intimité mais un intime universel qu’il laisse voir. La metteur en scène Ariane Mnouchkine affirme que la présence d’un acteur grandit proportionnellement à sa nudité. C’est dire que le comédien est appelé à se dépouiller afin d’ôter tout obstacle qui empêcherait de laisser passer ce flux dont parle Grotowski. L’acteur n’est qu’un canal dans lequel les forces imprévisibles de la nature humaine peuvent prendre vie. Selon Grotowski l’acteur ne devrait donc pas se focaliser sur les émotions en les jouant de manière volontariste, mais c’est en se concentrant sur l’action et en étant réceptif que ces émotions prendront vie d’elles-mêmes en lui et cela de manière beaucoup plus juste.
Si je m’attarde sur ce point-là c’est parce que j’y vois un parallèle intéressant entre l’abandon du comédien et celui du chrétien dans sa vie de foi. Jésus nous dit dans l’Evangile qu’il est le cep et que nous sommes les sarments et il continue ainsi :
Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. Comme le
sarment ne peut de lui–même porter du fruit, s’il ne demeure
attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi.
Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire.
Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche ; puis on ramasse les sarments, on les jette au feu, et ils brûlent.
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé.
Si vous portez beaucoup de fruit, c’est ainsi que mon Père sera glorifié, et que vous serez mes disciples.
Comme le Père m’a aimé, je vous ai aussi aimés. Demeurez dans mon amour. – Jean 15 : 4-9
Si le chrétien ne reste pas connecté au Christ, qui est la vie, il ne pourra pas porter du fruit, car un sarment qui n’est pas rattaché au cep se dessèche et finit par mourir. Le Christ ne nous demande pas de produire des fruits, il nous demande de demeurer en lui et en son amour et alors c’est naturellement que nous porterons du fruit. Le même genre de foi est exigé du comédien. Comme le théâtre est un art vivant, la plus grande qualité du comédien est sa capacité à être présent dans l’instant, à recevoir cette vie et à la libérer.
Ainsi, le mieux est écrit un texte dramatique, le plus il libère de vie, donc de matière à jouer. Le drame écrit porte ainsi en lui très souvent une lutte intérieure qui a lieu dans le cerveau des personnages. Car, nous dit l’auteur dramatique allemand Gerhard Hauptmann, « par suite toute pensée est dramatique, le cerveau de tout homme est une scène sur laquelle il joue lui-même tous les rôles. » Ainsi, pour Hauptmann, « la première tâche, et la plus importante de l'auteur dramatique, est de porter à la scène des hommes qui vivent et dont les actes traduisent la lutte intérieure, le drame. »[42] C’est pour cela que le théâtre constitue une connaissance dialogique. Une connaissance qui n’est pas basée sur un discours unique mais qui passe par le dialogue. Or là où la dialectique se base sur la logique formelle pour écarter ce qui dans les différents discours serait contradictoire afin d’arriver à une connaissance unifiée, le dialogique repose justement sur la coopération de logiques différentes ou contradictoires. Edgar Morin, qui le premier employa ce mot de dialogique, précise qu’il ne s’agit pas d’un moyen de facilité pour éluder toutes les contraintes logiques ou empiriques mais qu’il s’agit, selon ses propres termes, de « l’affrontement de la difficulté du combat avec le réel. » C’est en ce sens que la démocratie n’est pas propriétaire d’une vérité mais elle permet la complémentarité et la confrontation d’idées différentes venant de partis opposés. De même l’esprit chrétien n’est pas simplement la synthèse de l’esprit grec et de l’esprit juif dont il a hérité, il intègre de manière dialogique ces deux logiques à priori contradictoires. Les principes judaïques étant formés des éléments légalistes et des éléments apocalyptiques qui sont tous deux essentiellement historiques donc dynamiques. Les principes helléniques, quant à eux, étant davantage contemplatifs et cycliques.
C’est pour cela que Claudel se défend de voir Marthe, qui dans son drame « L’Echange » est la seule chrétienne, comme étant la seule représentante de l’esprit chrétien :
« Oui, qui dit chrétien, dit des choses très compliquées. Dans le côté chrétien, il y a le côté aventure. Il y a, par exemple, saint François-Xavier qui s’embarque pour la conquête des âmes, qui double le cap de Bonne-Espérance, qui va mourir devant les Chinois ; eh ben, il y a aussi un côté, un désir de l’aventure chez lui. De même, le côté pratique de Thomas Pollock. Eh ben dans le christianisme, il a son équivalent dans la louange que le Seigneur fait de l’intendant fidèle, par exemple. Dans l’esprit chrétien, les administrateurs jouent un très grand rôle ; dans la hiérarchie chrétienne, même dans les théologiens, l’administration des biens de l’Eglise, pas seulement des biens matériels, mais des biens spirituels, joue un très grand rôle. Et de même dans Léchy Elbernon, l’idée de l’imagination un peu folle, de l’imagination qui entraîne le corps, qui le fait envoler, pour ainsi dire, vous le trouvez dans saint François… De sorte que l’esprit chrétien n’est pas si facile que ça à enfermer dans un seul produit. Evidemment, il y a Marthe, mais il ne serait pas difficile, comme je vous le prouve de retrouver l’esprit chrétien dans les trois autres personnages, si je le voulais…»[43]
Je ne crois pas me tromper en affirmant que c’est précisément cette dimension dialogique du théâtre qui reste incomprise et crainte par beaucoup de chrétiens. Une sorte de vérité à plusieurs facettes qui ne se laisse pas enfermer dans une seule boîte. Les chrétiens vous diront qu’ils croient au Christ et qu’il n’existe pas de vérité en dehors de lui. A cela je réponds : Fort bien, je le crois de même, mais maintenant décrivez-moi le Christ. Et là vous obtiendrez autant de réponses différentes qu’il existe de croyants. Et pour autant, faudra-t-il qu’il n’y ait qu’une seule réponse juste et vraie ? Qui peut me dire qui est le Christ de manière définitive et objective ? Par le fait même qu’il est une personne vivante, chacun ne pourra donner de lui qu’une vision partielle et limitée. Et la Bible nous dit que même l’éternité ne suffirait pas à le connaître entièrement. C’est ainsi que je comprends d’ailleurs la fameuse citation de Dostoïevski :
« Si je savais que le Christ est en dehors de la vérité, je choisirais de suivre le Christ plutôt que la vérité. »[44]
Certains diront de cette phrase qu’elle est absurde et que cela n’a pas de sens de séparer le Christ de la vérité et que c’est aussi inutile que de vouloir séparer le fond de la forme. Pourtant cette phrase renvoie à quelque chose d’autre comme pour nous inviter à admettre qu’après tout le Christ se trouve au delà de notre concept même de vérité, qu’il le dépasse. Ainsi le chrétien peut bien dire qu’il marche dans la vérité mais non qu’il la détient, car cette vérité est vivante. En cela, par sa dimension dialogique, le théâtre, plus que d’imposer une vérité définitive, met le spectateur en mouvement, en question, en désir. Et c’est en cela aussi que le théâtre est et restera toujours la plate-forme par excellence de la laïcité, de la démocratie et qu’il a toujours eu un caractère subversif aux yeux de tous ceux qui cherchaient à instaurer un système totalitaire. A cela il faut ajouter que si le christianisme a souvent combattu le théâtre, il faut bien reconnaître que des trois monothéistes, il est le seul à l’avoir également favorisé. Etienne Marest émet l’hypothèse que cela se serait passé ainsi car le christianisme serait le seul à avoir fait évoluer ces religions du père en religion du fils. Dans une religion du père, la représentation est considérée comme un défi fait à la figure paternelle. C’est pourquoi les musulmans encore aujourd’hui ne tolère aucune image de Dieu. Mais la venue du Christ, comme étant le représentant du Père, permet dès lors la représentation. Le Fils en effet ouvre la voie à d’autres. Il donne un visage et une proximité à ce Dieu lointain. Il nous le rend semblable. Il est à l’image de ce héros tragique dans la tragédie grecque qui sortait du chœur pour être promu rédempteur de ce chœur et représentant du peuple. C’est en cela que l’image du fils permet la représentation, car elle soulage du joug de la figure paternelle. Etienne Marest avance également l’hypothèse que si le théâtre est en crise aujourd’hui, c’est parce que dans notre société le modèle patriarcal s’effrite et que donc la nécessité du sacrifice du fils se fait dès lors moins sentir et s’effrite à son tour. Mais, selon lui, si la figure du fils s’effrite c’est toute la représentation qui disparaît avec elle.
Un autre élément qui me paraît capital, dans ce rapprochement entre christianisme et théâtre, c’est la notion d’incarnation, l’idée qu’une parole se fasse chair. Car c’est bien de cela dont on parle quand on parle du Christ :
Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était
Dieu.
Elle était au commencement avec Dieu.
Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue.
Il y eut un homme envoyé de Dieu : son nom était Jean.
Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous
crussent par lui.
Il n’était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière.
Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire
tout homme.
Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point
connue.
Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue.
Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le
pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la
volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.
Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père. – Jean 1 : 1-14
Ces versets représentent à mes yeux le vrai drame de la figure du Christ. A la fois pleinement Dieu et pleinement homme, il permet, au travers de l’incarnation, que la Parole, le Verbe créateur rejoigne la réalité terrestre et se révèle à la créature. C’est la rencontre de l’éternel dans le temporel, de l’absolu dans le spécifique. Comment ce corps, tellement limité à un espace-temps pourra-t-il laisser entrevoir ne serait-ce qu’une lueur d’éternité ? Voilà une question que devrait se poser l’homme de théâtre chrétien dans sa vie de foi comme dans sa vie de scène.
IV
Théâtre et Christianisme
Une relation tumultueuse
« Tout poète est religieux au sens laïque du mot, c’est pour cela qu’il est facilement annexé par toute orthodoxie. Et pourtant le poète est toujours le Perturbateur dans la Perturbation. »[45]
- Jean-Marie Serreau
Avant de parler de l’Eglise et de son rapport avec le théâtre, il me semble important de préciser que depuis les origines le théâtre a impressionné les hommes. On sait qu’il trouva sa source dans les célébrations religieuses, et qu’on le pratiquait avec une extrême précaution. On voit par exemple que dans le théâtre indien il était encadré de rites qui avaient pour mission de protéger les hommes de son pouvoir. Parce que la croyance voulait qu’à l’origine seuls les dieux jouaient pour d’autres dieux. Ainsi les acteurs craignaient ce moment de jouer et le faisaient précéder d’un long prélude rituel. Le théâtre, à l’origine, on le voit, possédait une dimension de danger, d’inattendu qu’il a en grande partie perdue aujourd’hui, chose que regrettait amèrement un certain Antonin Artaud. Dans « Le théâtre et son double », Artaud compare admirablement les effets de la peste sur le corps de l’homme avec ceux du théâtre sur son esprit :
« Si le théâtre essentiel est comme la peste, ce n’est pas parce qu’il est contagieux, mais parce que comme la peste il est la révélation, la mise en avant, la poussée vers l’extérieur d’un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu ou sur un peuple toutes les possibilités perverses de l’esprit. Comme la peste il est le temps du mal, le triomphe des forces noires, qu’une force encore plus profonde alimente jusqu’à l’extinction. […] Il semble que par la peste et collectivement, un gigantesque abcès, tant moral que social, se vide ; et de même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès. […] De même le théâtre est un mal parce qu’il est l’équilibre suprême qui ne s’acquiert pas sans destruction. Il invite l’esprit à un délire qui exalte ses énergies ; et l’on peut voir finalement que du point de vue humain, l’action du théâtre, comme celle de la peste, est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie ; elle secoue l’inertie asphyxiante de la matière qui gagne jusqu’aux données les plus claires des sens ; et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elle n’aurait jamais eu sans cela. »[46]
Si tel est effectivement le rôle du théâtre au sein de la société, on peut comprendre aisément qu’une Eglise installée dans ses dogmes et son formalisme se soit sentie menacée. Or il va de soi que ce n’est pas cela que critiquait l’Eglise dans le théâtre, autrement elle se serait condamnée elle-même. Un des premiers chrétiens à condamner la participation aux spectacles fut Tertullien au IIème siècle de notre ère dans son traité « De Spectaculis ». Il voyait dans les spectacles de l’époque un culte rendu aux dieux païens et un divertissement malsain auquel le chrétien ne devait pas participer. Ces arguments furent longtemps repris par l’Eglise pour justifier les méfaits des spectacles et du théâtre, or en faisant cela, ils ne tenaient pas compte du contexte particulier de l’époque. Car les jeux romains étaient réellement donnés en l’honneur de leurs divinités, ce qui constituait déjà en soi pour les chrétiens un péché d’idolâtrie. De plus ces jeux n’avaient rien à voir avec les spectacles que nous connaissons aujourd’hui puisque bien souvent il n’y avait pas de frontière entre la fiction et la réalité et nombre de gladiateurs ou de soi-disant comédiens étaient réellement tués ou brûlés devant le public. Une comparaison entre ces jeux et le théâtre que l’on connaîtra au XVIIème siècle était donc totalement inappropriée.
Il n’en reste pas moins que le théâtre fut mis de côté durant tout le Moyen-Age. L’histoire veut que c’est pourtant bien au Moyen-Age qu’il fit sa réapparition et cela au sein des églises puis sur leur parvis et que c’est de ce théâtre liturgique que notre théâtre moderne tire sa source. Or selon Marc Fumaroli, c’est être de bien mauvaise foi que de comparer la gestuelle symbolique de la liturgie à la gestuelle mimétique du théâtre profane qui fait sa réapparition dans l’Europe chrétienne du XVème siècle. La première rend visible l’histoire sainte mais sans prétendre la représenter, et le théâtre liturgique qui en découlait, à savoir les Mystères et les Miracles, n’étaient pas joués par des comédiens professionnels. Alors que la seconde visait vraiment à donner un divertissement en représentant des scènes de la vie profane et cela joué par des comédiens qui étaient payés pour leur prestation. Ainsi, selon Marc Fumaroli, « à la foi que nourrit le théâtre liturgique, il faut donc opposer le ‘faire croire’ qu’alimente le théâtre mimétique. »[47] Or si l’on en croit les théories de certains hommes de théâtre contemporains ou du siècle passé, il semble en effet qu’on essaie précisément aujourd’hui de se débarrasser de ce ‘faire croire’ et de ne pas limiter le théâtre à une simple imitation de la vie. Cela étant dit, il me paraît judicieux de faire la distinction entre notre théâtre actuel et ces jeux liturgiques qui servaient essentiellement à soutenir la dévotion populaire, à entretenir la connaissance des mystères de la foi chrétienne et à empêcher la résurgence de festivités païennes. Le spécialiste du Moyen-Age qu’est Graham A. Runnalls ajoute à cela que la représentation d’une Passion dans une ville permettait également une véritable promotion touristique, ce qui nuance un peu cette idée d’un théâtre donné pour la seule gloire de Dieu.
Avant d’aborder les querelles qui eurent lieu en France au XVIIème siècle, il me paraît important de mettre en avant un autre moment de l’histoire, à savoir la conquête du Nouveau Monde au XVIème siècle. En effet peu de gens savent que les moines franciscains espagnols, qui cherchaient à convertir les Aztèques, le firent entre autre en imitant les cérémonies religieuses de ces peuples. Comme ils ne savaient communiquer le mystère de la foi chrétienne à des peuples qui ne parlaient pas leur langue, les moines décidèrent d’observer leurs rituels et d’en comprendre la signification. Les Aztèques, au cours de ces cérémonies, dansaient, chantaient et sacrifiaient certains des leurs en l’honneur de leurs dieux et pour obtenir leurs faveurs. Comprenant ceci, les moines organisèrent une grande fête pour Noël à laquelle ils firent participer certains indigènes et où ils imitèrent les pratiques païennes dans leurs formes mais en changeant l’adresse de ces chants au Dieu chrétien et en remplaçant les sacrifices humains par la symbolique du sacrifice du Christ accompli une fois pour toutes. Plus de dix tribus aux alentours de Mexico City furent conviées à la représentation et à célébrer la naissance du Christ. Ainsi, au travers du théâtre les moines réussirent à communiquer leur message sans utiliser le langage parlé mais ils touchèrent les indigènes directement à l’émotionnel. Les moines l’avaient compris, le théâtre avait une capacité magique d’enchantement que les doctrines communiquées sèchement n’avaient pas. Ce qu’il est également intéressant de se demander c’est qui des deux a converti qui, car si les Indiens devinrent de bons chrétiens, les Espagnols, au niveau de la forme théâtrale, devinrent de bons Aztèques. On voit ici la richesse de l’échange que permit le théâtre tel un vrai voyage qui permet, comme nous l’avons vu plus tôt, de traverser la parole de l’autre. Ceci contraste évidemment avec les massacres d’Indiens dont se rendaient coupables d’autres Espagnols.
Et pendant ce temps en Europe, c’est la Réforme qui bouscule tout. Et le sort du théâtre est relancé, car comme nous l’explique Marc Fumaroli, là où en terre catholique régnait une sorte de bipolarité entre ecclésiastiques et laïcs qui permit au théâtre de subsister, en terre réformée comme à Genève avec Calvin, cette bipolarité fut abolie jusqu’à mener à une sorte de théocratie homogène où le théâtre était dès lors sévèrement condamné et ne pouvait espérer prospérer. Nous savons également que la Contre-Réforme, pour mieux combattre les protestants, favorisa les arts, ce qui permit d’ailleurs l’essor d’un théâtre profane en Italie et fit des comédiens italiens les ambassadeurs dans toute l’Europe de l’humanisme de la Renaissance. Et les théologiens réformés n’hésitèrent pas à accuser l’Eglise romaine de favoriser la corruption des chrétiens par le théâtre. Car le pape Léon X (1475-1521) était un Médicis et comme tout Médicis, il aimait la distraction et les plaisirs et était lui-même artiste. Cela dit le théâtre à la Renaissance en Italie n’atteignit pas la grandeur des autres arts tels que la peinture ou la sculpture, même si la Commedia dell’arte eut une influence énorme sur la suite de l’histoire du théâtre et particulièrement sur le théâtre français des siècles suivants.
La Réforme et l’humanisme ayant gagné toute l’Europe, il est difficile de parler de théâtre chrétien en ce qui concerne le théâtre élisabéthain et chez les précurseurs de Shakespeare, même on si retrouve certaines thématiques s’y référant comme dans le Faust de Christopher Marlowe. Chez Shakespeare on voit que l’intérêt du théâtre est de disséquer l’âme humaine et d’en faire voir à la fois toute la beauté et toute la noirceur. Dans cet exercice Shakespeare reste sans nul doute l’auteur dramatique le plus talentueux de l’histoire. Il réussit l’exploit de combiner dans ses pièces le tragique des pièces antiques et le comique des comédiens italiens, tout en réussissant à donner à ces œuvres cette dimension magique qui nous enchante encore aujourd’hui. Si on peut supposer que Shakespeare était chrétien, il n’en reste pas moins que le théâtre fut souvent malmené en Angleterre à cette époque par les hommes d’Eglise et cela malgré une reine Elisabeth vertueuse mais encourageant les arts.
Mais c’est en Espagne dès le XVème siècle et jusqu’à la fin du XVIIème siècle qu’on retrouve l’exemple le plus frappant d’un théâtre chrétien. L’Espagne, extrêmement catholique, utilise le théâtre pour contrer la Réforme et va se concentrer sur l’exaltation de la foi sans pour autant tomber dans la moralisation. En effet les héros de ces tragédies sont souvent des bandits remplis d’une grande foi, un peu à l’image de Don Quichotte. On voit également que la Fatalité qui tenait le fil de la tragédie grecque est ici remplacée par la Grâce. On retrouve comme chez Shakespeare ce mélange de tragique et de comique qui tourne ici autour des grands thèmes que sont la Mort, la Foi, l’Amour et l’Honneur. C’est également l’époque des « autos sacramentales », sortes de pièces présentées à l’occasion des fêtes religieuses. Les trois grands auteurs de ce Siècle d’Or espagnol furent Lope de Vega, Tirso de Molina et Calderon qui tout trois entrèrent dans les ordres et dont la popularité fut sans égale. On sait également que ces auteurs eurent une énorme influence sur le théâtre français et en particulier sur Corneille et Molière qui s’inspirèrent de leurs canevas si bien ficelés. On doit notamment le personnage de Dom Juan à la pièce de Tirso de Molina intitulée « Le Trompeur de Séville ». Ce qui est frappant, c’est de voir à quel point ces auteurs, qui étaient eux-mêmes prêtres, moururent en tant que gloires nationales à côté d’un Molière à qui l’on refusa même la sépulture. C’est dire l’écart de mentalité qui existait entre ces deux royaumes. En Espagne régnait la foi et en France régnait la morale. Pourtant, à la fin du XVIIème siècle, même en Espagne, cette foi vive doit céder la place et c’est la fin d’une période d’une extrême richesse.
Il en est des choses à dire pour ce qui est du théâtre en France au XVIIème siècle. D’autres livres se sont donnés pour mission de comprendre les querelles de cette époque et il ne s’agit pas ici d’en faire le tour. Il me paraît simplement important de mettre en lumière les principaux arguments pour ou contre le théâtre à cette époque.
Il faut commencer par bien clarifier les rôles. Nous avons d’un côté les défenseurs du théâtre, dont font partie la plupart des comédiens, comme Molière, ainsi que certains hommes d’Eglise, mais aussi le roi. De l’autre côté, nous avons essentiellement des hommes d’Eglise de l’école janséniste. Enfin il existe un troisième groupe que sont les Jésuites et qui veulent promouvoir un certain théâtre, disons épuré et didactique. Ils le pratiqueront d’ailleurs dans leurs collèges et cela jusqu’à nos jours.
Il est intéressant de voir que sur le fait de mêler religion et théâtre les défenseurs du théâtre et les religieux qui y sont les plus réfractaires se rejoignent. Pour les premiers, le théâtre antique est révolu et il serait dès lors ridicule de représenter le merveilleux comme on avait coutume de représenter les dieux dans l’Antiquité. Pour eux, le théâtre doit au contraire élever l’homme à la vertu. Pour les religieux, il est inconcevable que des comédiens citent l’Ecriture et profèrent les oracles de Dieu. Ils estiment que parler de la foi sur scène ne sert qu’à mieux la ridiculiser. Car selon eux, soit il faut trahir les mystères de la foi pour en faire un divertissement, soit il faut s’attendre à ennuyer le public. C’est ainsi que Nicole, le janséniste, l’exprime :
« Le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté, la pénitence ne sont pas des vertus dont la représentation puisse divertir les spectateurs ; et surtout on n’entend jamais parler [au théâtre] de l’humilité, ni de la souffrance des injures. Ce serait un étrange personnage de comédie qu’un religieux modeste et silencieux. »[48]
De même Voltaire dira plus tard que pour réussir une tragédie chrétienne il faut précisément la léser de sa spécificité chrétienne ou alors la condamner à la fadeur. Finalement cela revient à répéter ce que dira encore plus tard André Gide quand il disait qu’on ne pouvait pas faire de la bonne littérature avec de bons sentiments. C’est finalement un argument que je trouve étonnamment pertinent et une question à laquelle l’homme de théâtre chrétien devra sans aucun doute faire face, même s’il va de soi qu’on ne divertit pas seulement le spectateur en faisant des pitreries sur scène. A mon sens, la question est plutôt de savoir si le théâtre a effectivement intérêt à montrer « un religieux modeste et silencieux », non pas uniquement parce qu’un tel personnage risquerait d’ennuyer le public mais parce qu’un tel personnage ne reflète probablement pas toute la vérité et qu’à côté de ce côté « brillant », ce personnage possède certainement d’autres côtés plus sombres que le théâtre a précisément pour mission de mettre en lumière. Ecoutons à ce propos ce que nous dit Strindberg :
« Dans ma jeunesse, il y avait un auteur dramatique qui, après avoir pratiqué la satire, finit par avoir pitié des hommes. Une vie bonne et relativement heureuse ayant adouci ses sentiments, il vit les hommes sous un jour plus lumineux. Eh bien ! il écrivit une pièce dont les personnages étaient tous bons et sensibles et ne professaient que de nobles sentiments. Et voilà ce qui arriva : le public crut d’abord à de l’ironie, mais, au second acte, il découvrit que l’auteur était convaincu. Une voix s’éleva du parterre : « Eh là ! mais c’est sérieux ! » Et la pièce continua, soulevant une désapprobation croissante. Les spectateurs se sentaient gênés pour eux-mêmes et gênés pour l’auteur. Certains quittèrent la salle, d’autres riaient. Ils se gaussaient de la bonté, du sacrifice, du renoncement, du pardon. Ils ne se reconnaissaient pas et considéraient cette peinture comme manquant de vérité. Les choses ne se passaient pas ainsi, les hommes ne sont pas des anges ! Il est donc parfois risqué de parler favorablement des hommes. Les gens religieux qui apprécieraient une telle pièce ne fréquentent pas le théâtre, puisque, à leurs yeux, le théâtre est impie.
Chez les Grecs, au contraire, le théâtre commençait par des sacrifices aux dieux. Pourquoi donc nos gens pieux ne vont-ils pas au théâtre, puisqu’on peut y voir le mal démasqué et ridiculisé ? »[49]
Le réel problème d’un théâtre religieux est donc bel et bien sa tendance à une certaine hypocrisie dont le théâtre s’accommode très mal. Je dirais pour ma part que c’est là tout le mérite du théâtre et que du bon théâtre devrait davantage effrayer le diable plutôt que Dieu, puisque comme le dit Strindberg, le mal y est démasqué et ridiculisé, or le diable qui est orgueilleux ne supporte pas d’être ridiculisé.
Un autre argument qu’avancent les jansénistes est le fait que le théâtre nous focalise sur les passions humaines alors que la religion vise précisément à nous en délivrer. Voici comment Conti le formule :
« Dans le même temps que la comédie nous propose des héros livrés à leurs passions, la religion nous propose Jésus-Christ souffrant pour nous délivrer de nos passions. »[50]
Nicole ajoute que le théâtre, en peignant les passions humaines, endort la vigilance chrétienne et permet au diable de déposer davantage de semences de péché dans le cœur de l’homme. Que répondre à de telles accusations si ce n’est qu’il existera toujours du théâtre pervers, comme il existe du cinéma pervers tout cela à l’image de la perversion humaine. Je reconnais qu’il existe des pièces de théâtre, tout comme il existe des films ou des émissions à la télévision, ou encore des sites sur Internet qui ne visent qu’à polluer l’esprit et à induire l’homme en tentation. Mais faut-il pour autant tout condamner, la télévision, le cinéma, Internet, le théâtre ? Après tout ce ne sont que des médias et ce n’est pas eux qu’il faut juger mais les esprits malintentionnés qui se cachent derrière.
Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. – Ephésiens 6 : 12
Le Père Caffaro, un prêtre italien de l’époque fut beaucoup critiqué par les jansénistes parce qu’il eut le malheur de dire en d’autres termes ce que je vous dis là, à savoir que si le théâtre pouvait par hasard exciter les passions, il ne le faisait en définitive ni plus ni moins que la vie elle-même et les actions et les paroles auxquelles elle nous confronte. Et Charles Mazouer de commenter :
« Ou il faut fuir dans les déserts, ou il faut accepter ce risque de voir excitées des passions condamnables, dans la vie comme au théâtre. »50
On peut se demander également dans quelle mesure ce besoin de se protéger constamment contre les risques que nous encourons dans le monde n’est pas en définitif une preuve d’un certain manque de foi. Croyons-nous Dieu si faible qu’il ne puisse nous délivrer du mal comme le formule Jésus dans sa prière du Notre-Père. Et quelle image avons-nous de Jésus ? L’avons-nous vu craindre de manger et de s’entretenir avec des publicains ou des prostituées ? Si le chrétien porte réellement en lui la Lumière des hommes, n’est-il pas en son devoir que de porter cette lumière dans les ténèbres ? La Mothe Le Vayer prit la défense de Molière à l’époque de la querelle du « Tartuffe » voyant dans le théâtre, la capacité de reprendre l’homme dans tous ces vices, dont il n’y a à priori aucune raison d’exclure l’hypocrisie. Voici comment Simone De Reyff commente ses arguments :
« Dans la mesure où il représente « la perfection de la Raison », le christianisme doit au contraire imprégner l’existence des hommes dans toutes ses manifestations, tant il est vrai que « Dieu remplit tout de lui-même, sans aucune distinction, et ne dédaigne pas d’être aussi présent dans les lieux du monde les plus infâmes, que dans les plus augustes et les plus sacrés. » Au reste, est-ce aux dévots qu’il convient par priorité de révéler les grandes vérités de la foi ? Les adeptes du théâtre, qui ne fréquentent guère les églises, n’ont-ils pas un besoin bien plus urgent d’être enseignés ? La Vérité ne perdra rien à s’humilier en paraissant en des lieux réputés indignes d’elle, car rien ne peut blesser sa grandeur inaltérable… »[51]
Finalement le dernier argument qu’avancent les jansénistes est celui que le théâtre, pour la simple et bonne raison qu’il n’est qu’un divertissement, est incompatible avec la vie chrétienne puisqu’il détourne le chrétien de se focaliser sur la prière et les vérités plus élevées auxquelles la foi tend. C’est un argument qui me paraît d’autant plus important que beaucoup de chrétiens d’aujourd’hui semblent y adhérer. Beaucoup d’entre eux ont conservé une sorte de complexe de culpabilité dans le fait d’aller au spectacle et je ne parle même pas ici de la carrière de comédien qui n’est pas particulièrement encouragée. C’est ce que j’appelle vouloir limiter la foi à la seule pratique religieuse. Il faudrait se sentir coupable si nous ne passions pas l’entièreté de nos journées à genoux ou en prière. Quelle hypocrisie ! Dieu voudrait précisément que notre foi puisse se vivre dans tous les domaines de nos vies et ne pas se limiter à certaines pratiques religieuses, comme s’il devait exister d’ailleurs des pratiques plus religieuses que d’autres. Voici comment Paul nous exhorte :
Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. – 1 Corinthiens 10 : 31
C’est un mensonge de croire que Dieu ne s’intéresse qu’à notre vie spirituelle ou à notre pratique religieuse, mais au contraire il se soucie de tous les petits détails, que ce soit nos finances, notre travail, nos rêves, nos relations, nos émotions, tout cela intéresse Dieu au plus haut point et dans tous ces domaines, la foi est également efficace car il n’est rien en nous qui en soit indigne. Ainsi quand Jésus nous invite à prier, il nous met en garde contre l’hypocrisie :
Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés.
Ne leur ressemblez pas ; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. – Matthieu 6 : 5-8
Bono, le chanteur de U2, ne dit pas autre chose quand dans sa chanson « Please » il chante « Get up off your knees now please » exhortant les chrétiens à ne pas se contenter de réunions de prière complaisantes mais à commencer à être disponible pour Dieu afin de répondre à ces prières car Dieu agit le plus souvent au travers de nous. Il me paraît donc capital pour le chrétien de comprendre qu’il ne fera jamais un art intéressant et digne tant qu’il ne comprendra pas que ce n’est pas en chantant des Alléluias à tout bout de champ qu’il rendra gloire à Dieu. Je peux faire de la cuisine et rendre gloire à Dieu, je peux être un sportif professionnel et rendre gloire à Dieu tout comme je peux être un artiste et rendre gloire à Dieu. Il n’est pas besoin pour l’homme de faire quoi que ce soit de particulier, car si dans son cœur il honore Dieu, alors il contribuera naturellement à la gloire de Dieu. Il me paraît indéniable que le théâtre de Molière a, en ce sens, pleinement rempli son rôle. Prenons comme exemple « Tartuffe », une de ses pièces les plus controversées. Dans la pièce, Elmire, la femme d’Orgon, qui permettra de démasquer le traître est en réalité un tenant-lieu de Molière lui-même (Elmire > Elomire > Molière). Car entre elle et Tartuffe, le cœur d’Orgon balance. Qui des deux est l’imposteur ? Dans ce triangle, Marc Fumaroli nous propose de voir dans Tartuffe le représentant du clergé et dans Orgon le représentant du peuple, le théâtre servant ici à démasquer le vrai du faux. « Le théâtre de bonne foi démasque le théâtre de la mauvaise foi. La mondaine-comédienne prend au piège l’hypocrite dévot. Le jeu théâtral qui s’avoue pour tel et qui, dans cette franchise, trouve et sert la vérité, l’emporte sur le théâtre ‘dans la vie’, qui se dissimule comme théâtre et trouve un alibi dans la gravité transcendante du Ciel. »[52]
Ainsi le théâtre vient au secours du peuple pour tenter de lui ouvrir les yeux sur la façon dont il se fait berner et voler par le clergé. Finalement il ne fait rien d’autre que mettre en garde le peuple tout comme le Christ mettait en garde ses disciples contre l’hypocrisie des pharisiens :
Avant tout, gardez–vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie.
– Luc 12 : 1
Cela ne fait-il pas de Molière un vrai disciple de Christ, l’un des seuls qu’on puisse réellement appeler chrétien ? Jésus est venu pour reprendre le nom de Dieu des mains des Juifs religieux de l’époque qui le monopolisaient et le discréditaient aux yeux du peuple. Il est venu pour redonner au peuple ce Dieu qu’on leur avait volé et dont ils ne se sentaient plus concerné. Plus que cela il a enlevé, tout Juif qu’il était, à une nation juive jugée indigne, son monopole et a ouvert le salut à tout le genre humain. Mais si les Juifs ont crucifié le Christ, l’Eglise ne s’est-elle pas rendue encore plus coupable en s’appropriant son nom et en se comportant de la sorte ? La Lumière du Christ brillerait encore aujourd’hui si l’Eglise ne l’avait pas à ce point là étouffée. Mais le Christ lui-même ne nous avait-il pas prévenu que nos pires ennemis se trouveraient dans notre propre camp ? Je ne résiste pas à l’envie de vous partager la parabole dont il est question. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende :
Il leur proposa une autre parabole, et il dit : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ.
Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla.
Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi.
Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : Seigneur, n’as–tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?
Il leur répondit : C’est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent : Veux–tu que nous allions l’arracher ?
Non, dit–il, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé.
Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs: Arrachez d’abord l’ivraie, et liez–la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier.
– Matthieu 13 : 24-30
On comprendra que si les serviteurs du maître qui représentent ici les anges ne seraient pas en mesure de distinguer le bon grain de l’ivraie, à combien plus forte raison, nous, pauvres et chétives créatures, serions nous dans l’embarras s‘il fallait distinguer les justes des injustes. Molière, dans sa « parabole », ne fait que nous mettre en garde contre un habit qui ne fait pas le moine, à savoir la piété apparente et la religion.
Les deux autres grands auteurs de cette époque classique en France furent Corneille et Racine. Le premier étant plus proche de l’école jésuite et le second de l’école janséniste. Ils s’essayèrent tous deux à la tragédie traitant d’un sujet religieux, à savoir Polyeucte pour Corneille et Esther et Athalie pour Racine. On sent que dans ce XVIIème siècle bien qu’encore fortement emprunt de valeurs religieuses, l’Eglise voit l’autorité lui glisser entre les mains et c’est pourquoi elle craint tellement le théâtre qui cristallise d’une certaine manière ce contre pouvoir ou du moins cette sérieuse remise en cause de son monopole.
Mais l’art et le théâtre n’ont pas fini d’en découdre avec leurs contestataires et c’est Rousseau, au XVIIIème siècle qui leur portera un des coups les plus fatals. On sait que Rousseau, citoyen de Genève, proposa d’interdire les théâtres parce qu’il jugeait les arts de son époque néfastes pour l’homme. C’est en effet lui qui remportera le prix de l’Académie de Dijon en répondant par la négative à la question suivante : « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs. » C’est grâce à ce discours que Rousseau bénéficia soudainement d’une telle notoriété tout en étant à la fois très fortement critiqué et incompris en un siècle de pleine émancipation. Pourtant si Rousseau dénonçait les arts, ce n’est pas tellement qu’ils les jugeaient mauvais en soi, au contraire, mais parce qu’il s’attristait de les voir si mal employés et si corrompus. Cette critique du progrès, en plein Siècle des Lumières, est, à mon sens, tout à fait révolutionnaire. Je pense que c’est mal comprendre Rousseau que de le mettre dans le même panier que les jansénistes et de faire de lui un simple moraliste rétrograde. Rousseau constatait avec regret ce que le progrès et le raffinement avaient détruit d’authentique chez l’homme et combien en apprenant toutes ses manières, l’homme avait appris à feindre et était devenu faux et hypocrite. Rousseau critique également l’inégalité des institutions sociales de l’époque ainsi que la sophistication de l’éducation. Il prône simplement un retour à une certaine simplicité devant une société qui s’enfonce lentement dans l’embourgeoisement. Car une civilisation qui pousse à étudier la vertu plutôt qu’à la pratiquer est une civilisation qui va vers sa fin comme nous le montre les destinées des civilisations athéniennes et romaines. Rousseau craint également que les vrais artistes, cherchant les éloges de leurs contemporains et voyant les honneurs si mal distribués, ne préfèrent limiter leur talent au niveau de leur siècle et ainsi être admiré durant leur vie plutôt que de créer des œuvres qui ne leur vaudraient les honneurs qu’après leur mort. C’est en ce sens que pour moi Rousseau ne dédaignait pas les arts mais qu’il les savait réservés aux gens vraiment talentueux et qu’il ne servait donc à rien de faciliter leur accès et leur pratique. Il voyait également dans cette vocation une dimension prophétique dont nous avons déjà parlé, car le prophète ne révélait pas les oracles de Dieu pour s’attirer les honneurs du peuple. Ainsi on voit dans le livre du prophète Michée dans l’Ancien Testament, Dieu reprocher à son peuple de préférer les faux prophètes à ceux qu’il leur envoie :
Si un homme court après le vent et débite des mensonges: Je vais te prophétiser sur le vin, sur les boissons fortes! Ce sera pour ce peuple un prophète.
– Michée 2 : 11
Ainsi parle l’Eternel sur les prophètes qui égarent mon peuple, Qui annoncent la paix si leurs dents ont quelque chose à mordre, Et qui publient la guerre si on ne leur met rien dans la bouche. – Michée 3 : 5
De même voici comment s’exprime Rousseau :
« Le sage ne court point après la fortune ; mais il n’est pas insensible à la gloire ; et quand il la voit si mal distribuée, sa vertu, qu’un peu d’émulation aurait animée et rendue avantageuse à la société, tombe en langueur, et s’éteint dans la misère et dans l’oubli. Voilà ce qu’à la longue doit produire partout la préférence des talents agréables sur les talents utiles, et ce que l’expérience n’a que trop confirmé depuis le renouvellement des sciences et des arts. »[53]
Rousseau préfère un savoir et des arts qui servent à rendre le monde meilleur ou du moins à l’éclairer. Mais il considère qu’il ne s’agit là malheureusement que d’une minorité des cas. C’est pourquoi il invite tout un chacun à rester humble et à ne pas chercher la gloire dans les sciences et les arts car il vaut bien mieux savoir bien faire que savoir bien dire et pour ce faire il suffit d’être à l’écoute de soi-même.
Laissons Rousseau pour rejoindre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle afin de voir un certain retour de la thématique religieuse au théâtre. C’est ici un tout autre contexte que Gabriel Marcel, philosophe existentialiste du XXème siècle, nous aidera à mieux comprendre.
Ce retour du religieux au théâtre se retrouve sous plusieurs formes qu’il importe de distinguer. Marcel fait ainsi la différence entre ce qu’il appelle un théâtre de débat, un théâtre de célébration et un théâtre de la conversion. Le théâtre de débat fait référence à certaines pièces qui furent écrites avant 1910 comme « La Nouvelle Idole » de François de Curel ou encore « Le Duel » d’Henri Lavedan qui seraient selon lui inintéressantes à monter aujourd’hui parce qu’elles traitent du problème religieux mais du dehors. Gabriel Marcel pense que ce théâtre de duel verbal est complètement périmé aujourd’hui et il souligne l’importance qu’a eu l’apparition de l’existentiel qui au théâtre précéda la publication des ouvrages de philosophie existentielle ainsi que la redécouverte du philosophe Kierkegaard.
Ce surgissement existentiel se retrouve ainsi dans les premières pièces de Claudel mais aussi chez Péguy. Dans ces pièces, dit-il, « la religion cesse d’apparaître comme un thème de discussion ou de débat, elle se présente au contraire comme une certaine vie profonde dont le théâtre devient un mode d’expression authentique. »[54] Il parle donc du retour du drame à ses origines telles qu’elles étaient dans le théâtre grec ou le théâtre hindou. Car le théâtre depuis lors n’avait cessé de se désacraliser et de se séculariser.
Dès lors, l’œuvre dramatique n’apparaît plus comme une irradiation de la liturgie comme dans le théâtre de célébration, mais comme une irradiation de la conversion, entendu que cela n’est plus doctrinal ou extérieur, mais que cela touche la personne elle-même dans ses profondeurs. Marcel dit que cela ne doit pas être compris dans un sens idéaliste car dit-il: « Il n’y a pas de théâtre chrétien, et peut-être même pas de théâtre du tout, sans réalisme. »54 Or la conversion est plus qu’un simple évènement psychologique. On retrouve dans les premières œuvres de Claudel une fraîcheur, une qualité originelle qui se fraye un passage. Cette fraîcheur là se perdra par la suite car Claudel devint définitivement installé dans un catholicisme dogmatique, perdant dès lors ce frémissement qu’on retrouve dans : « Tête d’Or », « L’Echange », « La Ville » ou « La Jeune Fille Violaine » (première version de « L’Annonce faite à Marie »). Alors que « Le Soulier de Satin » possède, selon Marcel, cette arrogance de se placer selon le point de vue de Dieu comme si cela allait de soi. Cette chose-là était possible au Moyen-Age quand la chrétienté « régnait » comme on le voit chez Dante dans « La Divine Comédie ». Gabriel Marcel compare d’ailleurs « Le Soulier de Satin » à « La Divine Comédie », mais, selon lui, ce qui était possible au Moyen-Age ne marche plus de la même manière aujourd’hui. Comment expliquer cette évolution chez Claudel ? Comment ne pas y voir comme Marcel la simple conséquence de son ascension sociale et de son succès ?
Cette fraîcheur qui existe dans les premières pièces de Claudel et qui fait que les gens s’y reconnaissent souvent plus est dû au fait qu’au moment de l’écriture, Claudel se débattait encore avec ces questions et que comme il l’écrit pour « La Ville », il n’était « pas complètement dégagé du premier [monde] et pas encore complètement intégré au second, tandis que maintenant le premier est depuis longtemps quitté, oh oui ! » 54 et Gabriel Marcel de commenter : « ...Ce qui fait la grandeur de « La Ville », c’est justement le fait que l’auteur est en quelque manière partagé entre ses personnages… »54 Cette pièce, ainsi que « L’Echange » sont deux pièces très profondes selon Marcel en ce qu’elles opposent « le monde de la commutabilité universelle, le monde du commerce et des affaires, au monde véritable où chaque être est unique dans la mesure même où il est créature de Dieu. »[55] On peut donc dire qu’il existe dans les premières pièces de Claudel quelque chose comme une lutte intérieure qui se reflète dans les personnages et qui nourrit précisément le sens dramatique de l’œuvre. Ecoutons-le s’expliquer de lui-même là-dessus :
« La grande différence de toutes les pièces de théâtre qui sont postérieures à 1909 avec celles qui ont précédé c’est, pour employer un mot à la mode, un peu prétentieux, l’élément subjectif dominait chez moi jusqu’en 1909. C’est à partir de 1909 que j’ai eu un point de vue en quelque sorte extérieur, un point de vue de constructeur, et que j’ai vu l’œuvre à réaliser un peu du dehors. Ce côté objectif est devenu de plus en plus important chez moi. Tout en conservant l’impetus, la poussée intérieure, je l’ai beaucoup plus astreinte à un regard et à un sentiment de la construction vue pour ainsi dire du dehors. C’est là la grande différence de toutes mes œuvres à partir de l’Otage et de l’Annonce faite à Marie. Les personnages de l’Otage, même de l’Annonce, me sont en grande partie extérieurs. Je les ai vus réalisés comme un peintre peut voir un groupe d’après les lignes, d’après la composition qu’ils font ensemble, et non pas simplement en aveugle ou en réalisant une poussée intérieure ‘va comme je te pousse’, si je peux dire. J’ai vu beaucoup plus ça d’un point de vue extérieur, tout en essayant de tirer parti des éléments anciens. »[56]
Et à Jean Amrouche qui lui demande à quoi on pourrait attribuer cette évolution, Claudel répond ceci :
« En grande partie à mon apaisement intérieur, à mon apaisement moral et à la domination sur le drame intérieur, que j’étais arrivé à calmer. A partir de 1910, la géologie de mon talent, si vous voulez, pour employer un mot très prétentieux, est changée : il ne s’agit plus d’une pente plus ou moins accidentée à grimper, il s’agit d’un terrain plan, permettant les points de vue, permettant l’exercice d’un talent de composition, si je peux dire. La composition domine l’inspiration. C’est là la grande différence de cette période, qui se prolonge jusqu’à la fin de ma période dramatique, c’est-à-dire jusqu’en 1930 à peu près, c’est la grande différence sur ce qui se passe avant : avant, c’est facile, avant j’essayais de donner jour à mon drame intérieur, comme je le pouvais, tandis que là je le domine et je lui impose une forme. »56
C’est précisément ce que reproche Marcel aux dernières pièces de Claudel et cela est particulièrement vrai pour « Le Soulier de Satin » où Marcel y voit une exorbitante prétention de l’auteur de se placer au point de vue même de Dieu et où les personnages semblent évoluer un peu comme des marionnettes. Selon Marcel ce catholicisme triomphant ou triomphal pourrait plus légitimement s’affirmer dans le pur lyrisme que sur scène.
Ce théâtre de célébration, Marcel le retrouve également dans le théâtre d’Henri Ghéon qui créa à l’époque « Les Compagnons de Notre-Dame », une troupe qui fonctionnait un peu comme au Moyen-Age en jouant notamment la vie des Saints que Ghéon adaptait pour la scène. Il y avait là une volonté de retrouver un théâtre populaire en plein air qui soit à la fois un divertissement tout en ayant une qualité artistique. Ghéon se battait en effet contre deux tendances, le théâtre de l’époque caractérisé selon lui par un bas réalisme et un sensualisme et le théâtre pratiqué dans les patronages qui avait comme premier but l’édification et qui par conséquent était ennuyeux et de mauvaise qualité. Voilà comment il s’exprime :
« On disait : 1° édification, 2° art (ou métier), 3° divertissement, sacrifiant trop souvent au premier terme les deux autres. Nous disons, nous : 1° divertissement : le théâtre n’est pas la chaire, la comédie n’est pas le prêche : inutile de recommencer sur la scène ce que de plus qualifiés font ex cathedra dans l’Eglise ; ne confondons jamais les genres ; on vient prendre ici du plaisir ; 2° art (ou métier) : les règles du sermon sont une chose et les règles du drame une autre ; Dieu veut de l’ouvrage bien fait : apprenons donc notre métier et exerçons-le le mieux possible ; le résultat supérieur en dépend ; 3° édification qui est le résultat suprême. C’est par le moyen d’un art sûr, par le plaisir qu’il donnera, que nous parviendrons à porter les âmes sur le plan de Dieu où nous voulons les aider à revivre, à se retrouver, à se reconnaître, à fonder, à agir. […] Un art catholique s’adresse à tous ; il doit être d’abord un art. Il faut que la moralité se dégage toute seule de l’ouvrage. Il ne convient pas tant de prouver ceci ou cela, que d’évoquer de grands exemples, que de créer sur le théâtre et dans la salle une atmosphère spirituelle, surnaturelle, sans nécessairement quitter pour cela le ton familier qui est celui de l’Evangile, qui est celui de la plupart des Saints. »[57]
Ghéon eut à son époque beaucoup de succès et plusieurs troupes suivirent son exemple comme en Belgique la troupe amateur des « Compagnons de Saint-Lambert » qui perdura pendant près de 25 ans. Seulement Marcel trouve que les pièces qu’il écrivait n’étaient pas toujours d’une grande qualité littéraire et ce qu’il lui reproche finalement c’est de s’adresser à un public comme s’il s’agissait là d’un public homogène de croyants, comme si le christianisme à notre époque n’était pas remis en doute par la plupart de nos contemporains.
C’est cela ce que Marcel appelle tenir compte de la contestation du christianisme. Car cette contestation n’est pas simplement une mise en question extérieure faite à l’égard d’une doctrine car dans le christianISME à la différence du marxISME, ce qu’il y a de plus fondamental ne tient pas de la doctrine ou de tout autre ISME. Marcel nous parle de ce plus qui lie les chrétiens aux non-croyants à savoir l’amour qu’ils sont censés leur porter et qui est supérieur à toute dispute idéologique. Et comme je le disais cette contestation est présente dans les premières pièces de Claudel car il existe une sorte d’équilibre entre la Grâce et les forces qui s’y opposent. Marcel parle même d’une sorte de connivence entre ces forces qui du point de vue de l’art enrichit l’œuvre de contradictions. Cet équilibre est assez mystérieux mais il est certain que si le chrétien dans son œuvre favorise injustement la Grâce, il en détruit par-là même la beauté puisqu’il prive ses personnages d’une réelle liberté.
La grandeur de la pièce « MacBeth » de Shakespeare réside précisément dans sa capacité à montrer le mal et ses conséquences avec une telle profondeur et une telle vérité. Quelle pièce ennuyeuse cela aurait été si MacBeth n’avait pas accompli son crime et s’il avait accepté humblement sa promotion sans en demander davantage. De plus, si l’on en croit Aristote, les vertus du théâtre résident précisément dans leur capacité de provoquer la catharsis, soit de nous permettre de vivre ces passions et ses crimes sans réellement en être les auteurs. La question est de savoir si le fait de vivre ces passions au théâtre permet réellement de les purger ou si comme le pensent les jansénistes, cela ne contribue qu’à les éveiller davantage. A mon sens, cela dépend vraiment de l’image que l’on se fait de l’homme. Est-il de nature un être saint et pur qu’il convient à tout prix de protéger ou l’homme est-il déjà divisé en lui-même et ne doit-il pas précisément rechercher à mettre toute la lumière sur les véritables motivations de son cœur. Je ne prétends pas avoir ici une réponse définitive mais je citerai un passage précis de l’Evangile où Jésus répond aux pharisiens qui reprochent à ses disciples de ne pas se laver les mains avant le repas selon la tradition :
Il n’est hors de l’homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller ; mais ce qui sort de l’homme, c’est ce qui le souille. […]
Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme.
– Marc 7 : 15 + 21-23
Même si Jésus parle ici de nourriture, il déclare quand même que le mal provient du cœur de l’homme. J’en déduis que l’homme doit commencer par ne pas s’aveugler sur ce mal et le reconnaître puis il doit se rendre disponible afin que Dieu le change de l’intérieur vers l’extérieur, et non pas l’inverse. Un autre passage de l’Evangile où Jésus critique également les pharisiens me paraît très clair à ce sujet :
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que
vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qu’au dedans
ils sont pleins de rapine et d’intempérance.
Pharisien aveugle ! nettoie premièrement l’intérieur de la coupe et du plat, afin que l’extérieur aussi devienne net.
Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés.
Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais, au dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité. – Matthieu 23 : 25-28
C’est la différence essentielle qui existe entre une foi qui se résume à une pure pratique religieuse et une foi qui marche humblement vers la sanctification. Je me permettrais de citer encore une parabole que raconta Jésus et qui illustre parfaitement mon propos :
Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était pharisien, et l’autre publicain.
Le pharisien, debout, priait ainsi en lui–même : O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain ;
je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus.
Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : O Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur.
Je vous le dis, celui–ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l’autre. Car quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé. – Luc 18 :10-14
Il est temps que le chrétien comprenne que Dieu regarde au cœur et que tous les jolis sacrifices que l’homme est prêt à accomplir ne servent à rien s’ils ne contribuent qu’à le rendre satisfait de lui-même et à s’en glorifier :
Allez, et apprenez ce que signifie : Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices. Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. – Matthieu 9 : 13
Je pense en ce sens que le théâtre a un rôle non négligeable pour dévoiler et mettre en lumière les intentions qui se cachent dans le cœur de l’homme et qui ne servent en réalité qu’à lui paver une route plus sûre vers l’enfer.
Le drame chrétien selon Gabriel Marcel
« Si le drame chrétien est possible, c’est que l’essence même de la religion chrétienne est un drame – et ce drame, c’est la Passion du Christ, la Passion du Dieu incarné. Entre Incarnation et Drame, il existe une connexion intime qui ne serait pas concevable dans une religion de l’esprit pur, à supposer que celle-ci puisse exister et ne pas se réduire à une philosophie. »[58] - Gabriel Marcel
Nous l’avons compris, pour Marcel, un drame chrétien ne peut nullement faire abstraction de la contestation à la chrétienté d’aujourd’hui au risque soit de trahir une exigence de vérité et d’universalité, soit de produire un pastiche attardé et sans vie des Mystères du Moyen-Age.
Gabriel Marcel se pose alors naturellement la question de la finalité propre d’un drame chrétien. Et là les routes se séparent ! Faut-il que le drame chrétien, s’il est né de la conversion, soit orienté vers la conversion ? Selon Marcel, cela serait dangereux car ce serait donner au théâtre une fonction apologétique, qui aurait comme but de convaincre de la véracité et du bien-fondé de la religion chrétienne. Or une pièce de théâtre, nous l’avons vu, ne peut pas avoir cette fonction, ni même l’art en général. Cela ne veut pas dire qu’il faille pour autant tomber dans l’autre extrême qui serait de faire de l’art pour l’art, car selon Marcel, le théâtre ou l’art n’intéresse pas le spectateur mais l’être humain derrière le spectateur, « l’être humain engagé dans cette sorte de pèlerinage hasardeux qu’est l’existence humaine. […] Il faut que cet être humain reconnaisse dans l’action dramatique qui se déploie devant lui, quelque chose qui le concerne essentiellement ou vitalement, quelque chose où il se sente lui-même impliqué. »58
La thématique chrétienne fondamentale serait la connexion entre Passion, Crucifixion et Résurrection. Pour Marcel, cette thématique est enracinée dans les profondeurs de l’existence humaine et c’est cet enracinement ou cette correspondance qui devrait être montré (et non pas démontré) par le dramaturge chrétien. Et même, selon Marcel, l’action de montrer risque de traduire un effort didactique qui est incompatible avec l’intention essentielle de l’artiste. Ainsi le poète doit procéder à un sacrifice dans le but de sauvegarder la liberté des êtres qu’il a créés. Il ne peut pas les utiliser pour un dessein quel qu’il soit. Si l’intention ne peut toutefois pas ne pas être là, elle devrait être dirigée dans le but de laisser transparaître moins une vérité que la Vérité en tant qu’elle s’adresse à l’humanité. La vérité en question ne fait pas référence au théâtre naturaliste, car le naturalisme opère généralement une mutilation de la réalité en la privant de sa part certes la plus mystérieuse qui est la Grâce. La Grâce n’est cependant pas à utiliser par le poète comme un deux ex machina qui résoudrait les problèmes humains, car la Grâce ne peut, par essence, pas être traitée comme un moyen. La tâche suprême, selon Marcel, serait de mettre le spectateur non pas en tant que spectateur mais en tant qu’être humain, en présence de Dieu. Pas de prétention donc, mais de l’humilité, car « là où le poète se rend coupable de présomption, il arrive en général que, par une sorte de justice mystérieuse, le spectateur se rétracte. »[59] Le danger ensuite serait que cette humilité se transforme elle-même en une prétention. Marcel prend Péguy comme un exemple de cette humilité, bien plus que Claudel. Ainsi Péguy a su dépasser le théâtre de célébration en trouvant une sorte d’universalité et en y intégrant la contestation de son époque tout en la résolvant dans une harmonie de mort et de résurrection. Attention harmonie et non pas compromis entre des pensées qui s’excluent. On voit d’ailleurs dans les lignes qui suivent comment il est difficile d’exprimer cette sorte de neutralité à laquelle l’artiste et l’homme de théâtre doivent se soumettre :
« La volonté de convertir […] doit être regardée comme une modalité de la volonté de puissance qui ne peut qu’être étrangère au poète comme à l’artiste. » Le poète doit « se regarder simplement comme le lieu où une certaine Vérité doit apparaître, et s’être assez dépris de lui-même pour devenir effectivement ce lieu […] Il ne peut pas être question pour le poète […] de se tenir à l’écart de la contestation qui se poursuit à travers notre monde. Cette contestation, il doit d’une certaine manière la faire sienne, mais en se plaçant dans l’axe de la Lumière Incréée, pour qu’à travers lui, ou à travers son œuvre – ce qui revient au même – cette contestation soit en même temps surmontée de la manière que j’ai dite : bien plutôt musicalement que logiquement ou dialectiquement. En dernière analyse […] le poète chrétien ne me semble travailler efficacement pour ses frères non-croyants que s’il ne pense pas à eux comme à des cibles ou à des proies possibles : ce n’est qu’à cette condition qu’il peut espérer les atteindre, ou plutôt se mettre de toute sa bonne volonté dans des conditions telles que, par sa médiation, Celui dont il est le serviteur puisse en effet les atteindre. Mais prenons bien garde que cette pensée que je viens d’exprimer ne doit sans doute pas être consciemment la sienne. On peut se demander si je ne me suis pas montré imprudent en parlant précédemment d’intentionnalité. Si celle-ci existe, ce n’est peut-être pas lui, le poète, qui en est le sujet : c’est comme si elle était recouverte par une absence d’intention, sans laquelle il n’y a sans doute pas d’œuvre véritablement sublime. Et ces deux données contradictoires s’unissent mystérieusement à la racine même du drame chrétien. »59
Un enrichissement mutuel
Ce que le théâtre apporte à la foi
« Montrer l’homme tel qu’il est avec ce qui fait ses grandeurs et ses petitesses, ses limites et son incroyable difficulté à être pleinement lui-même et à se dépasser, c’est, en quelque sorte, le projet moral du théâtre chrétien. Le seul qui vaille. Une morale au-delà du moralisme. »[60]
- Jean Luc Jeener
L’homme de théâtre chrétien, nous l’avons vu, ne devra donc pas confondre son métier avec celui de pasteur ou de prêtre, mais il offrira davantage un lieu de dialogue avec nos contemporains afin de créer un pont et de limiter le fossé qui existe entre les croyants et les non-croyants. En ce sens, le théâtre donne à l’Eglise une chance de participer au dialogue pluraliste qu’offre la laïcité. Mais il lui offre également l’occasion de repenser la façon avec laquelle elle désire interagir avec la société. Il me semble important en ce sens que le théâtre à l’église ne se réduise pas à une simple illustration du message, car le théâtre ne peut pas user de la même autorité que la prédication, même si on peut se demander dans quelle mesure la prédication ne devrait pas elle aussi s’inspirer du théâtre et réfléchir à la façon dont elle désire s’adresser à l’assemblée. On dit généralement que le prêtre ou le pasteur utilise, pour communiquer, un langage logique qui se veut clair et qui a pour but d’être compris. Pour ce qui est de l’artiste on dit qu’il utilise un langage analogique, qui n’a pas pour but premier d’être compris de manière logique mais au contraire qui vise à cultiver la pénombre, en donnant par rétention ou par occultation. D’une certaine manière c’est un langage qui doit davantage permettre l’utilisation de l’imagination chez l’auditeur. Cela est d’ailleurs tout à fait comparable avec les paraboles que racontaient Jésus. Le théâtre en ce sens peut jouer ce rôle de parabole vivante.
La pratique du théâtre en elle-même peut également être l’occasion, au delà du résultat scénique, d’offrir un réel lien social entre ceux qui le pratiquent. Le théâtre devient dès lors une activité en soi et qui en elle-même contribue à l’épanouissement des participants ainsi qu’à la santé de l’église.
Nous l’avons vu plus haut également mais le théâtre permet de rendre attentifs les chrétiens au danger de leur propre fondamentalisme et de leur permettre de garder l’esprit ouvert.
Il destitue d’une certaine manière le clergé de son monopole sur l’Evangile et permet aux croyants comme aux non-croyants d’en bénéficier d’une manière plus accessible. Il redonne également à l’Evangile sa dimension poétique et existentielle en dépassant la seule dimension morale.
En outre, on peut dire que le théâtre permet d’amener l’herméneutique, qui est l’interprétation des textes qu’ils soient religieux ou philosophiques, au niveau d’une interprétation incarnée. Il permet de donner chair à ces interprétations afin qu’elles ne restent pas au niveau de la doctrine mais qu’elles acquièrent une dimension existentielle qui les rendent valables pour la vie de tous les jours. Le chrétien d’une certaine manière est un acteur dont la partition n’est autre que la Bible et il ne peut donc pas se contenter de l’interpréter intellectuellement mais il doit l’incarner et c’est cette incarnation qui est en soi dramatique. Il est en effet plus ou moins aisé de philosopher sur les textes mais c’est en les incarnant que toutes les contradictions montent à la surface. C’est pourquoi le Christ s’est fait chair pour vivre jusqu’au paroxysme toutes les contradictions de la nature humaine. Car le christianisme n’est ni une doctrine ni une morale, il est une manière de vivre tous les jours, une attitude devant la vie.
Généralement, cela ne nous dit en rien ce qu’il convient de faire dans tel ou tel cas car le contexte que nous rencontrerons sera toujours unique. Cette vie de tous les jours avec tous ces imprévus sera donc toujours un défi lancé au chrétien qui devra apprendre à improviser tout comme le comédien est souvent surpris par les inattendus de la représentation. Et comme nous l’avons vu, le comédien qui délivre son texte de manière figée sans y intégrer les réactions de ces partenaires et même celles du public n’est pas un bon comédien. Comme nous dit Claudel, « l’acteur est un artiste et non pas un critique. Son but n’est pas de faire comprendre un texte, mais de faire vivre un personnage. »[61] Cela rappelle ainsi au croyant que l’Evangile avant d’être un texte à comprendre, est un texte à incarner et auquel donner vie.
Le théâtre, je pense, permet également de mieux comprendre l’homme et la liberté que Dieu lui offre. En effet l’auteur dramatique expérimente en écrivant que les personnages qu’il crée finissent à un certain moment par lui échapper et à réclamer leur indépendance. C’est ainsi par exemple que l’auteur est souvent surpris de voir la résistance que ces personnages lui font sentir et l’autonomie qu’ils semblent réclamer. Cela est d’une certaine manière comparable avec les rapports que Dieu entretient avec ses créatures. A peine créées que les voilà déjà libres et indépendantes. Le metteur en scène de même sait bien que les impulsions qu’il donne à ses comédiens finissent par le dépasser et à produire des choses auxquelles il ne s’attendait pas.
Le théâtre permet également de donner aux actions humaines une dimension qui les dépasse et qui fait qu’une action ne vaut pas seulement pour elle-même mais aussi pour toutes les résonances et les conséquences qu’elle provoque chez d’autres. Ainsi il permet de montrer à quel point l’homme n’est pas seul mais est intimement lié à tous les autres et que le sens ne se dégage dès fois que d’une pluralité d’actions, tout comme une note de musique ne vaut pas grand chose pour elle-même, mais qui, ajoutée à d’autres et selon une certaine disposition offrira aux oreilles une magnifique symphonie. « N’empêchez pas la musique », nous dit Claudel, « agissez de manière à ce que vos actions et vos plus secrètes pensées, non seulement n’empêchent pas l’harmonie dont vous êtes un élément, mais qu’elles la provoquent ou la créent autour d’elles. »[62]
Le théâtre permet encore à la pensée chrétienne de sortir d’un certain manichéisme et de donner à son message une plus grande universalité. Il sort l’homme des systèmes figés qu’il s’est construit pour se rassurer afin de le montrer en prise avec l’inconnu dans un espace-temps où ces systèmes s’effondrent et où l’homme est placé en face de lui-même. En ce sens le théâtre est là pour bousculer ces fondations et reconnecter l’homme à sa spontanéité, le rendre vivant au moment présent.
Ce que la foi apporte au théâtre
« L’art ne doit jamais être utilisé pour prouver la validité du christianisme. C’est plutôt la validité de l’art qui devrait être étayée par le christianisme. »[63] - Rookmaaker
Si le théâtre permet de sortir la foi de son contexte religieux, la foi redonne, quant à elle, au théâtre une nouvelle légitimité. Elle lui permet de ne pas être uniquement un divertissement mais de regagner une certaine gravité qu’il a perdu. Car il faut bien le reconnaître, le théâtre aujourd’hui n’est plus au centre de la cité, il a perdu une dimension qui le rendait essentiel pour ne pas dire vital. Car le théâtre n’a pas pour vocation d’être une simple curiosité d’artiste. Jacques Copeau, un des grands hommes de théâtre du siècle passé, rêvait déjà d’un retour à un théâtre plus populaire :
« La question n’est pas de savoir si le théâtre d’aujourd’hui empruntera son attrait de telle ou telle expérimentation, puisera sa force dans l’autorité de tel maître de la scène plutôt que de tel autre. Je crois qu’il faut se demander s’il sera marxiste ou chrétien. Car il faut qu’il soit vivant, c’est-à-dire populaire. Pour vivre, il faut qu’il apporte à l’homme des raisons de croire, d’espérer, de s’épanouir. »[64]
De même Claudel nous dit que la foi introduit dans l’art « un principe de contradiction » qui empêche l’artiste de tomber dans la complaisance ou la pure expérimentation et le force à avoir une réflexion de fond et une interaction avec la société. La foi donne également à nos actions, du moment qu’elles sont représentées, un caractère symbolique qui les relie au grand drame de l’histoire et en font une sorte de parabole en action.
Copeau parlait à l’époque de certains jeunes auteurs qui désiraient écrire pour le théâtre mais qui s’y cassaient les dents car le monde et les personnages qu’ils essayaient de représenter étaient trop fuyants dans un monde qui change constamment et si vite. Or selon Copeau, l’essence du drame est précisément d’affirmer, de conclure et d’adopter une certaine objectivité. C’est pourquoi selon lui, le théâtre s’est mis à imiter le roman et le cinéma qui par leur informité parvenaient beaucoup plus facilement à rendre compte des incertitudes, des anomalies, des curiosités, des contradictions, des mystères et de toute la relativité des connaissances. Selon Copeau, le dramaturge est un architecte qui doit construire en dur, mais le théâtre contemporain se base essentiellement sur le doute, d’où sa forme déstructurée qui ne permet plus à l’homme de se comprendre dans sa totalité. Or la foi est là précisément pour donner du sens et affirmer une certaine cohérence du monde. Cela ne doit toutefois pas en faire un théâtre déterministe, nous dit Jeener, car le christianisme reconnaît et affirme par ailleurs que l’homme est et reste libre, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
La foi peut également apporter au théâtre sa dimension tragique et dramatique, car le chrétien, nous dit Claudel, vit constamment dans l’arène, sur le plateau, comme en spectacle aux hommes et aux anges. Pour le chrétien, aucune action n’est anodine mais au contraire, elle influence tout le monde physique et spirituel. C’est pourquoi les personnages de Corneille, Molière ou Racine sont éminemment tragiques, car ils sont tous reliés à une norme et à des lois, qu’elles soient celle de la religion, de la patrie ou de la famille, contre lesquelles les passions de ces héros se heurtent. Car déjà dans le drame antique le tragique provenait toujours de ce conflit comme on peut le voir chez Antigone par exemple qui est partagée entre son désir d’enterrer son frère et l’interdiction du roi contre laquelle elle se heurte. Mais la particularité de l’homme moderne c’est qu’il a tellement pris soin de se débarrasser de toutes ces normes, qu’il se retrouve profondément abandonné, et sans réelles valeurs auxquelles s’accrocher. Or, nous dit Copeau, quand un homme a pour seule valeur le ‘tout est permis’, il n’est plus dès lors un homme qui lutte pour son indépendance mais il devient un être qui subit et le théâtre qui a pour mission de le représenter perd de sa dimension dramatique et se perd dans d’innombrables introspections. Car si l’on en croit Claudel, la vraie maxime chrétienne n’est pas « Connais-toi toi-même ! » mais « Oublies-toi toi-même ! » car « ce qui est important pour un homme, ce n’est pas ce qu’il peut, c’est ce qu’on veut de lui. »[65] C’est cet appel extérieur, cette vocation, qui permet à l’homme d’agir et de se construire.
Chateaubriand ne disait pas autre chose dans « Le Génie du Christianisme » où il considérait Phèdre comme une chrétienne en prise avec ses combats intérieurs. Car nous l’avons vu, cette double nature implique une lutte intérieure qui donne au drame sa dimension tragique. C’est pour cela que pour Chateaubriand, Corneille et Racine étaient bien plus que des moralistes mais leurs analyses des passions s’inscrivaient chez eux « dans une histoire sainte de l’âme… » Claudel ne dit pas autre chose dans ses « Correspondances » :
« Quoi de plus tragique que la lutte de l’invisible contre tout le visible ? Le chrétien ne vit pas comme le sage antique à l’état d’équilibre, mais à l’état de conflit. Tous ses actes ont des conséquences. Il se sent dans un état continuel de composition. Et quel intérêt celui du drame où il s’agit non pas d’une mort ou d’un mariage, mais de la vie ou de la mort éternelles, où vous prenez une place vous-mêmes, non pas dans une action fictive, mais dans le drame perpétuel de l’humanité ! »[66]
Parce que le christianisme replace l’homme au centre de la création et lui redonne sa dignité, l’homme de théâtre chrétien utilise son art non pas pour détruire mais pour construire la cité. Cela permet entre autre de replacer la direction d’acteurs au centre de la mise en scène. Car il faut se demander si un théâtre qui n’offre plus à l’homme derrière le spectateur un moyen de se connaître et de se sentir grandi peut encore être considéré comme du théâtre.
V
Conclusion
« Et la question qui se pose maintenant est de savoir si dans ce monde qui glisse, qui se suicide sans s’en apercevoir, il se trouvera un noyau d’hommes capables d’imposer cette notion extérieure au théâtre, qui nous rendra l’équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus »[67]
- Antonin Artaud
Sartre, au siècle passé, disait qu’il ne fallait pas faire du théâtre politique mais qu’il fallait faire politiquement du théâtre. Je pense que la nuance est de taille et qu’on pourrait dire en écho que plutôt que de faire du théâtre chrétien, il est plus juste de faire chrétiennement du théâtre, car, nous dit Rookmaaker, « ce qui est chrétien dans l’art ne réside pas dans le thème, mais dans l’esprit qui l’anime, dans sa sagesse et dans la compréhension de la réalité qu’il reflète… »[68] Cette idée résume presque à elle seule tout l’exposé que je viens de vous faire. C’est elle qui dès le début m’a poussé à comprendre et à chercher dans un premier temps quel était cet esprit chrétien, d’une part, parce que comme le dit Claudel, l’esprit chrétien n’est pas si facile à enfermer dans une seule boîte, mais parce qu’il me semblait important de remettre en cause certains préjugés. Cette étape-là me paraissait indispensable bien que fastidieuse. Il me fallait comprendre comment certains chrétiens au cours des siècles avaient pu dire que le théâtre était un art pervertit et comment d’autres y avaient vu précisément une nouvelle chance donnée au christianisme de se redécouvrir. Qu’est-ce qui dans l’art en général, et dans le théâtre en particulier pouvait tellement effrayer certains tout en continuant à garder un tel attrait sur d’autres. Moi-même en tant que comédien et en tant que chrétien, comment pouvais-je concilier ces deux missions ? En d’autres termes, comment concilier vérité évangélique et vérité artistique ? Pourquoi ces deux vérités avaient-elles tant de mal à coexister dans une même œuvre sans que l’une ou l’autre prenne finalement le dessus et finisse par amoindrir la qualité même de l’œuvre. Le problème est que beaucoup de chrétiens ne comprennent pas que ces vérités n’agissent pas sur le même plan et voient dans la vérité évangélique une donnée figée qu’il ne faut surtout pas remettre en cause ou bousculer. Ils n’arrivent pas à envisager que ces deux vérités, et c’est bien l’objet de ce mémoire, puissent être en réalité complémentaires.
Le résultat est sans appel : Une grande partie de l’art chrétien actuel est de mauvaise qualité artistique parce qu’il se soucie davantage d’éthique au détriment de l’esthétique. D’un autre côté il me faut admettre qu’une grande partie de l’art contemporain reste incapable à permettre à l’homme de se reconnecter avec sa part spirituelle et il perd dès lors cette gravité et cette force qu’il a eue depuis les origines. Il est attrayant dans la forme et fait preuve de beaucoup d’imagination, mais le plus souvent, tout cela ne constitue qu’une coquille vide qui ne parvient pas à dépasser le stade de simple curiosité. Le grand public ne trouve dès lors plus au théâtre quelque chose qui puisse le concerner de manière existentielle et il se tourne tout naturellement vers le cinéma pour trouver une réponse à ses questionnements.
L’homme n’a pas besoin du théâtre si c’est pour y voir un reflet absurde et pessimiste, ni pour y voir certains metteurs en scène y flatter leur ego. L’homme n’a pas non plus besoin du théâtre si c’est pour y voir l’illustration d’un sermon ou pour y recevoir des leçons de morale qui ne sont pas en phase avec la réalité. Le théâtre doit redevenir populaire et existentiel tout en permettant à l’homme de se voir d’une manière plus complète afin de retrouver sa dignité. Il n’a pas besoin pour ce faire de s’appuyer sur une croyance commune, nous dit Henri Gouhier, car « ce qui tient lieu de cette croyance est précisément la volonté de croire. »[69]
Volonté de croire qui est en réalité à la base de toute foi véritable. Voici comment l’exprime Bono, le chanteur de U2 :
« C’est la fin d’un siècle et c’est un siècle où Dieu est supposé être mort. Voir le monde en deux dimensions n’a plus le même intérêt que cela avait pour beaucoup de personnes. Les gens veulent croire, mais ils sont fâchés, et j’ai ciblé cette colère. Si Dieu n’est pas mort, il y a certaines questions que nous aimerions lui poser. Je suis un croyant, mais cela ne veut pas dire que tout cela ne me fâche pas tout autant. »[70]
Si comme le pense Berdiaeff, les créations humaines sont une réponse aux paroles que Dieu donne à l’homme, alors il faut que ce dialogue soit fait en toute honnêteté et en toute liberté car Dieu attend de nous des créations audacieusement libres. Les hommes de la Bible qui ont été reconnus justes selon le cœur de Dieu ont toujours été des hommes qui n’avaient pas peur de contester avec Dieu et de lutter avec lui si une chose leur semblait injuste. Que ce soit le roi David dans les Psaumes, Moïse ou encore les prophètes, ils ont tous intercéder avec courage et honnêteté devant Dieu. L’image la plus criante est évidemment celle de Jacob luttant avec l’ange et refusant de céder avant d’avoir reçu sa bénédiction. Ce n’est pas pour rien qu’il fut rebaptisé Israël, qui signifie littéralement « celui qui lutte avec Dieu », et que ce nom fut attribué à toute la nation juive.
Il faut relire les Evangiles pour comprendre que le Christ était tout sauf ennuyeux et moraliste et que si une grande foule le suivait provenant de toutes les classes sociales et même de cultures et de religions différentes, c’est parce qu’ils étaient fascinés par la puissance de ses paroles et que son enseignement leur apportait une sorte de nourriture spirituelle comme l’Ecriture semble l’attester :
L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. – Matthieu 4 : 4
Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous–mêmes.
Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour.
Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage.
Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui.
Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi.
C’est ici le pain qui est descendu du ciel. Il n’en est pas comme de vos pères qui ont mangé la manne et qui sont morts : celui qui mange ce pain vivra éternellement. – Jean 6 : 53-58
Et comment le Christ enseignait-il les foules ? En grande partie au travers de paraboles qui racontaient des histoires des hommes et des femmes de son temps. Ces histoires avaient malgré tout une dimension universelle qui les rend toujours aussi précieuses aujourd’hui. C’est Jean Vilar d’ailleurs qui regrettait qu’aucun chrétien n’ait amené sur la scène ces paraboles lors du festival d’Avignon car il y voyait une merveille d’humanisme profitable à tout le monde. Le chrétien doit retrouver dans les Evangiles ce qui les rend indispensables et accepter que Dieu continue de se révéler aujourd’hui. Le christianisme est fondamentalement pour le renouvellement de la vie, nous dit Rookmaaker, par conséquent il doit également être pour le renouvellement de l’art et du théâtre, car c’est seulement ainsi qu’il leur redonnera leur pleine validité et permettra d’exprimer ce que cela signifie d’être devenus de nouvelles créatures.
L’homme de théâtre chrétien ne doit donc pas rester passif et abandonner la culture ambiante pour se créer une sorte de sous-culture aseptisée tout comme s’en créent les chrétiens aux Etats-Unis et qui ne sert qu’à les conforter dans cette idée qu’ils sont à part. Car une foi engagée dans la sphère privée mais qui reste par ailleurs socialement inutile et inefficace ne vaut pas grande chose. Je pense au contraire que le chrétien est appelé à réinvestir la culture globale et la laïcité, non pas pour l’envahir ou reconquérir des parts de marché mais parce que c’est son rôle que d’être le sel et la lumière.
Et pour terminer sur une note positive, je pense qu’il est important de dire, comme nous le dit Claudel, « qu’un jeune homme qui voit les choses telles qu’elles sont, et qui partage les convictions que j’ai, ce qu’il ressent devant le monde actuel, ce ne doit pas être une impression d’accablement, de découragement, mais plutôt d’enthousiasme. Il se dit que dans un monde où il y a tant à faire, lui-même a sa part prescrite, et c’est plutôt une sensation d’exaltation, d’enthousiasme qu’il doit ressentir… »[71]
·
Annexes
ENTRETIEN AVEC MATTHIAS BÖLSTERLI, PASTEUR D’ICF GENÈVE
Nyon (Suisse), le 7 avril 2009
Marc : Alors on va commencer avec des questions un peu plus générales, d’accord ? Plus par rapport à toi, à ton parcours, brièvement, depuis Zürich, enfin peut-être l’occasion un peu de contextualiser un peu ICF, mais brièvement, pas que tu te sentes obligé de…
Pasteur : Donc tu voudrais un peu savoir qui je suis et par rapport…
M : Ouais! voilà
P : Alors je m’appelle Matthias Bölsterli, j’ai grandi à Neuchâtel. A quinze ans on a déménagé à Zürich. J’ai fait une expérience personnelle à 22ans où j’ai découvert la foi chrétienne pour moi. Un truc qui m’a énormément changé et donné beaucoup de choses très très précieuses pour ma vie que j’ai eu envie de partager avec d’autres personnes, ce que j’ai fait et d’autres personnes ont aussi découvert ça à travers moi mais j’ai vite vu une certaine difficulté après d’intégrer des amis dans des églises existantes. A la base je suis protestant après j’ai joint une église évangélique assez traditionnelle et j’ai remarqué que quand j’amenais mes amis dans cette église, tout simplement ils comprennent pas le message.
M : Dans une église évangélique tu dis ou une église protestante?
P : Protestante ou évangélique c’était pareil. On parlait déjà de thèmes qui les intéressaient pas et puis ensuite c’était présenté d’une manière qui était tout simplement pas accessible, pas compréhensible. De la musique qui date du 18e siècle, un langage qu’on parle plus aujourd’hui. Et moi qui voulais grandir dans la foi j’ai fait l’effort d’apprendre et comprendre ce langage mais si j’amenais des amis qui étaient en recherche, ils comprenaient pas donc pour eux ça donnait pas de sens, puis c’est à partir de là qu’on a commencé à se faire la réflexion, mais en principe Jésus est justement venu pour communiquer les principes du royaume de Dieu dans un langage que les gens de son époque pouvaient justement comprendre. Donc des images simples, il parlait de brebis, de blé, d’oiseaux, des choses que tout le monde comprenaient et il faisait justement la différence avec l’establishment religieux et lui il parlait le langage que les gens comprenaient. A partir de là on s’est dit mais en principe l’Eglise elle doit constamment se réformer. Pas dans son message mais dans sa manière de communiquer le message. Puis à partir de là on a commencé à réfléchir mais comment est-ce qu’une église devrait être aujourd’hui pour que mes amis comprennent le message et s’y sentent à l’aise et trouvent un endroit qui leur permette de grandir personnellement et dans la foi. C’est à partir de là qu’on a commencé à rêver et plus tard à réaliser ce qu’est devenu aujourd’hui ICF, qui en principe est une église chrétienne qui a exactement la même Bible comme toutes les autres églises, le même message mais la différence entre ICF et la majorité des autres églises c’est qu’on parle un langage très très contemporain et ça inclut pas seulement le récit oral mais ça inclut le multimédia, la musique, théâtre, danse, donc vraiment une manière de communiquer…
M : Et ça dès le début. Dès le début c’était l’objectif.. ?
P : Dès le début c’était l’idée. On a, dès le début on a nommé ICF un évènement ‘multimédiatique’. C’était l’idée dès le départ, de pas seulement parler. Parce que si on veut vraiment parler le langage d’aujourd’hui, il faut comprendre que le langage d’aujourd’hui contrairement à ce qu’on pourrait penser avec l’évolution sémantique du langage qui s’est intellectualisé, le langage d’aujourd’hui devient de plus en plus en fait un langage émotionnel, donc ce qui n’est pas vécu émotionnellement c’est pas entendu. Après il y a le visuel qui devient de plus en plus important avec le cinéma, l’Internet, la télévision, donc pour parler le langage d’aujourd’hui il faut réussir à déclencher des émotions et faut avoir une présentation visuelle aussi qui correspond à des attentes très élevées. Donc tout ça on a bien compris dès le départ. Après y’a le principe de l’excellence, surtout dans la musique, que les gens ils sont gâtés, ils ont des présentations Hollywood de 90min qui ont des budgets d’un demi-milliard de francs. A la télévision ils ont des budgets énormes, donc les gens ce qui n’est pas vraiment présenté avec l’excellence, ils vont même pas écouter. Donc c’est à partir de là qu’on a commencé à développer ICF, toujours avec les moyens qu’on avait, pour essayer de communiquer ce message d’un Dieu qui nous aime et qui cherche une relation personnelle avec nous à travers Jésus-Christ dans un langage que les gens comprennent. Et c’est clair que un peu comme ‘side-effect’ de ça, tu as énormément de culture qui s’est développée. On a pu développer des musiciens, des équipes de danse, de théâtre, après aussi des gens qui se développent dans de la performance de tout ce qui est autour : la technique, la lumière, l’audio, y’a énormément de talents là qui ont pu être découverts et puis relâché. Et puis alors personnellement j’ai fait ça pendant environ douze ans à Zürich, et puis dans l’espace de quelques années c’est devenu la plus grande église de Suisse, ce qui nous montrait que le problème de l’église c’est pas que les gens ne s’y intéressent pas, c’est vraiment que l’église communique mal et répond peut-être à des questions que personne ne pose aussi. Mais les gens ils ont des questions : quel est le sens de la vie, d’où est-ce que je viens, où est-ce que je vais, qui est Dieu ? Et y’a vraiment une demande pour ça. Et puis après y’a quatre ans j’ai décidé d’arrêter ça à Zürich parce que ça tournait aussi sans moi et de recommencer la même chose à Genève et depuis quatre ans je m’investis à Genève pour là de nouveau essayer de développer tout simplement une église qui parle le français courant. (Rire)
M : Je pense que tu t’es confronté à une autre culture aussi…
P : Oui oui.
M : En bref tu pourrais dire la différence que tu vois en Romandie ou le changement de mentalité.
P : Oui y’a, bon y’a une différence de langage, y’a une différence de mentalité. Moi je pense que dans les grandes lignes c’est assez semblable. Je crois qu’on vit quand même dans un effet de globalisation aussi dans la culture, des concerts, Madonna et Britney Spears et Bon Jovi, ils sont pareils au Japon en Amérique et en Europe et c’est toujours plein. Donc je pense qu’il y a quand même beaucoup de choses qui sont très semblables. Après c’est plutôt dans les détails, dans le ‘back-office’, donc dans la manière comment on travaille qu’il y a des grandes différences. Alors une grande différence que j’ai constatée, c’est l’humour. Alors l’humour suisse-allemand, il fonctionne pas en Romandie, et l’humour romand ne fonctionne pas en Suisse-Allemande. Et j’ai vraiment pu bien développer de l’humour. Moi j’arrive à faire rire des gens à Zürich pendant s’il faut 90min parce que j’ai compris maintenant comment ça va et en Romandie ça fonctionne pas donc là je dois vraiment redécouvrir en fait l’humour romand qui est vraiment complètement différent. Des choses que des suisses-allemands ils se fendent de rire, les romands ils réagissent même pas. C’est pas juste des petites nuances c’est vraiment complètement différent.
M : C’est pas seulement que tu trouves pas forcément les mots en français, c’est vraiment un humour d’un autre genre….
P : C’est un humour différent. Ouais! c’est clair que pour moi c’est un handicap supplémentaire que mon français n’est pas parfait. J’ai développé une très très bonne maîtrise de la langue orale allemande et suisse-allemande et ça je me débloque mais là j’ai encore du travail. Parce que là y’a aussi un peu une différence, les Romands me pardonnent moins un langage pas soigné et des erreurs que les Suisses-allemands, ouais les exigences au niveau de la présentation, de la qualité du langage elles sont beaucoup moins grandes qu’en Suisse Romande, ce qui pour moi est un handicap que je dois travailler et puis après c’est dans la mentalité qu’il y a des différences quand on travaille. Les Suisses-Allemands sont quand même plus ‘untertannen’, c’est des gens qui sont ponctuels, ils respectent les autorités, tendanciellement hein!, plus que les romands qui sont quand même un peu plus bons vivants, qui sont plus indépendants, individualistes, un peu plus difficiles à diriger aussi, mais aussi plus intéressants à diriger parce qu’ils ont beaucoup d’idées, ils aiment bien discuter, ils aiment bien contribuer. Le Suisse-Allemand tendanciellement tu lui dis ce qu’il faut faire, il va le faire, alors que le Romand il va réfléchir, il va peut-être discuter, il va peut-être pas le faire. Moi je suis romand dans ma mentalité donc ça me correspond plus mais y’a des différences très évidentes ouais.
M : Ouais! ça c’est une chose que j’ai pu remarquer aussi à l’armée (rire) y’a toujours plus de problèmes…
P : Le Rösti graben il existe. Tu sais Hans Peter Nuesch de Campus (pour Christ), une fois il a déclaré dans un grand truc ChristesDay là à Berne, il a déclaré la fin du Rösti graben. Et puis depuis Léo et moi on s’amuse toujours à dire : Hanspeter c’est pas vrai, le Röstigraben il existe. (Rire)
M : Mais c’est vrai je pense, comme tu dis, la globalisation fait que la jeunesse elle a tendance à se fondre un peu, enfin on a tendance à retrouver de plus en plus de génération en génération des jeunes qui se ressemblent et…
P : Absolument. Absolument et si on prend des modèles d’églises qui fonctionnent par exemple Hillsong qui font un ‘franchising’ mais à mort, tu vois, ils font exactement la même chose à Hong Kong, à Kiev, à Londres, à Berlin, à Paris et ça fonctionne partout. Donc y’a un peu ce mythe d’église qu’il faut vraiment redécouvrir la culture locale etc…Moi je dis 3% peut-être, mais les 97% de ce qui fonctionne dans une ville, fonctionne dans une autre. On a vraiment cette tendance énorme de globalisation culturelle…qui est peut-être pas sympathique mais c’est comme ça. (rire)
M : Ouais!, mais ouais parce qu’on pourrait se demander si l’église n’a peut-être pas ce rôle justement de revenir aux sources, de donner de la profondeur aux choses et pas aller dans ce courant de ‘toujours plus vite’, images et… enfin tu vois ce que je veux dire ?
P : Pour moi y’a deux choses fondamentalement différentes c’est la manière comment on gagne les gens, comment on les atteint, l’évangélisation et là le principe il est clair, tu es un Grec aux Grecs, un Juif aux Juifs, là tu dois entrer dans le moule du monde, tu dois regarder l’appât à travers l’œil du poisson, tu vois ? C’est cette erreur que font beaucoup d’églises. Moi j’aime bien cette histoire que j’ai déjà souvent racontée qui m’a vraiment ouvert les yeux avec ma fille. Elle avait trois ans et sa nourriture préférée c’était les concombres. Elle adorait les concombres. Elle aurait pris un concombre avant un chocolat. Et puis là on était dans un ruisseau, y avait des truites donc elle attachait le concombre à une ficelle et l’a mis dans l’eau en étant sûr qu’une truite ne pourrait pas résister à un concombre, tu vois, c’est tellement bon. Et là je suis allé et je lui ais dit mais qu’est-ce que tu fais Damaris. – Mais j’essaie de pêcher, de choper une truite. -Pis je lui aie dit mais les truites elles mangent pas des concombres. Pis elle m’a regardé avec des gros yeux pis elle pouvait pas comprendre comment on pouvait résister à un concombre. Et pis c’est ce que font beaucoup d’églises. Ils parlent de ce qui leur est cher. Et après ils mettent ça comme appât et ils sont étonnés que personne ne mordent. Alors les poissons ça se chopent avec des vers, alors les vers, c’est pas très bon, c’est pas très sympathique, mais c’est ce qui fonctionne. Donc en terme d’évangélisation, la question c’est pas quel est notre objectif, ce qui nous est sympathique, c’est tout simplement ce qui fonctionne, quel est le langage que les gens comprennent, après le but c’est de les faire grandir dans la foi, de leur faire découvrir des valeurs et des profondeurs, peut-être même des autres langages parce que c’est vrai que par exemple pour moi personnellement les traductions modernes bibliques, elles sont beaucoup moins riches que les anciennes, mais ça sert à rien de les annoncer à des gens qui les comprennent pas mais une fois qu’ils ont découvert la foi ils vont pouvoir découvrir en profondeur et je pense que là aussi l’identité culturelle de chaque région, de chaque nation, de chaque individu va beaucoup plus de nouveau ressortir, parce que c’est vrai que pour moi aussi la globalisation, finalement c’est l’œuvre du diable, il veut faire de chaque homme un robot qui est pareil alors que Dieu il a créé des individus avec une valeur et une richesse individuelle qui est énorme qui à mon avis ressort quand une personne commence à se connecter avec Dieu qui va lui faire découvrir son plan personnel pour sa vie personnelle, tu vois toutes ces valeurs très individuelles qui ressortent, mais c’est pas avec ça que tu attires les masses, les gens, donc pour moi y’a une différence entre gagner les gens et après faire grandir les gens. Et ça c’est très important à comprendre parce que moi je pense que ça c’est quelque chose qui va dans tout, même si on va parler d’art et de théâtre. Je pense que c’est pareil pour tout, tu vois y’a du ‘mainstream’ dans tous les domaines, après y’a des choses où y’a peut-être un plus petit cercle de personnes qui accèdent mais qui sont d’autant plus précieuses. Pour moi l’Eglise doit avoir les deux, la largeur et la profondeur.
M : Mais..ouais, est-ce que t’as déjà envisagé l’inverse, c’est-à-dire d’avoir un objectif de faire grandir les gens en pensant que c’est comme ça qu’ils vont finalement peut-être venir à la foi, donc ça veut dire, enfin toi tu parles de les réunir ou les attraper entre guillemets et puis après leur donner la possibilité de grandir mais est-ce que leur offrir, ça peut être cette culture, mais même par rapport à la foi, c’est-à-dire les instruire vraiment en profondeur, est-ce que c’est peut-être pas aussi leur donner une chance d’un jour venir à la foi ou peut-être que t’as des expériences qui te prouvent que généralement que…
P : Bon mon expérience c’est tout simplement que si j’ai quelque chose de précieux mais que j’arrive pas à le communiquer d’une manière que la personne le comprend ça sert à rien, donc elle va tout simplement pas comprendre, c’est ça. Donc mon souci c’est vraiment à la base de communiquer un langage que les gens comprennent, où ils peuvent s’identifier, où ils se disent : « Waow ça ça donne du sens, il parle de moi, c’est intéressant, ça pourrait m’aider à découvrir des choses et à répondre à des questions. » Ca pour moi c’est la base fondamentale, donc si je commence avec des questions de dire « ouais est-ce que ce qu’on fait c’est vraiment, est-ce que ça représente vraiment la culture et l’identité de Genève ? » Va demander à un Genevois, c’est quoi un Genevois. Je te dis ce qu’il va répondre, il va répondre c’est pas un français, c’est pas un suisse. Même un Genevois il sait pas ce que c’est un Genevois..
M : Après je pensais plus par rapport à la foi, tu vois, c’est-à-dire, une tendance à aller à l’essentiel de la foi ou voir ce qu’il y a d’attrayant dans la foi chrétienne en laissant un peu derrière tout ce qui fait partie peut-être des épreuves ou des difficultés qui attend un chrétien tu vois ce que je veux dire, parce que c’est dans le but d’évangéliser et bon après on pense que ça va venir après mais ....cet effet un peu à rebours quoi qui risque d’arriver, bon c’est un peu une tendance qu’il y a dans les églises évangéliques c’est que les gens peut-être se convertissent rapidement mais après y’a un peu un phénomène de repli, c’est un peu : ‘ah! mais c’est pas tout à fait comme on m’avait dit, c’est pas si rose’…
P : Ouais!, nan mais moi je parle pas de ça, je parle pas de présenter un évangile qui n’est pas la vérité, moi je pense que c’est même important dès le départ de clairement parler que de suivre Jésus, ça coûte un prix énorme etc.. Mon seul souci c’est de parler un langage que les gens comprennent…
M : Alors en fait la limite de l’image de la nourriture qui plaît au poisson, tu vois cette idée je pense que dans le domaine artistique, c’est quelque chose qui fait peur, parce qu’on se dit allez un artiste il va pas donner à manger ce que les gens veulent, sinon on appelle ça le nivellement vers le bas, alors à ce moment-là on fait plaisir au peuple et puis on se nourrit de bassesse et jamais on essaie de tirer les gens vers le haut mais je pense pas que c’est ça que tu voulais dire.
P : Bon moi je dirais comme ça, si par exemple tu fais une équipe de théâtre dans le sein d’ICF et cette équipe de théâtre fait des choses qui fait fuir les gens, moi j’interviendrais, tu vois, c’est pas le but. Donc le but reste de faire des choses qui plaisent, qui attirent, ça reste ça. En ayant dit ça, moi je crois que de donner, ça je t’avais déjà parlé, au théâtre une espèce de liberté de bouffon dans le cadre de ce qu’on fait normalement dans l’église qui est quand même assez bien ‘mainstream’, assez bien organisé, c’est pas très dangereux, on vient à l’église, on s’en prend pas plein la gueule, c’est de la musique qui plaît, c’est un message qu’on peut choper peut-être de temps en temps un petit défi quelque part. Ca dans l’ensemble, même vu de la perspective du poisson, risque de nouveau d’être un appât qui est pas très intéressant parce que c’est peut-être un vers qui est un peu déjà trop mort tu vois ? Ce côté un peu dangereux, ce côté un peu de surprise, ce côté un peu de quelque chose qui fait mal fait partie de quelque chose qui est attractif et pour moi honnêtement c’est ce qui manque un peu à ICF en ce moment. Donc voilà, je sais que toi tu vas te défendre contre tout essai d’instrumentaliser le théâtre mais je le fais quand même. Je l’instrumentalise en lui donnant consciemment une liberté de justement…donc dans ce cadre le théâtre que je vois, il est très libre, de même faire des choses qui choquent ou qui plaisent pas tu vois, mais ça peut aller au-delà d’une limite mais si je réalise que les gens ils viennent plus à cause de cela (rire) parce que pour moi…là je sais qu’on aura peut-être aussi tendanciellement, y’a du potentiel de conflits parce que toi tu vas peut-être plutôt mettre la valeur de l’art en soi-même comme objectif primordial alors que pour moi c’est quand même le développement de l’église et de voir le royaume de Dieu grandir, tu vois… C’est comme.. J’espère que tu le comprends pas mal si je le dis comme ça, mais c’est comme tu peux faire le meilleur repas, si tu mets pas du sel et du poivre ça va pas être très bon à manger mais si t’en mets trop ben c’est pas bon à manger non plus, c’est un peu une question de dose tu vois. Et pour moi le théâtre comme j’espère qui sera c’est un peu le sel et le poivre et les piments et le chili dans cette soupe qu’on appelle l’église. (rire)
M : Mais c’est assez juste parce qui si tu parles de, à la limite un objectif pour l’église donc à la limite on pourrait voir le théâtre ‘au service de’ et bon ce que tu dis que moi j’aurais peut-être une tendance à mettre l’art pour l’art, j’aurais envie de mettre encore une troisième possibilité, c’est que je pense que l’art, il vaut pas grand-chose pour lui-même, enfin que de toute façon il doit être au service de quelque chose mais c’est que dès fois c’est quelque chose de peut-être dès fois au-delà de l’église, c’est comme si dès fois ça avait envie de servir une chose universelle, de remettre un peu les humains tous sur le même pied d’égalité, donc ça sert presque le communautaire, donc ça peut être pour le rire, pour détendre, mais finalement pour rassembler tout le monde aussi, tu vois ce côté où…
P : Moi je pense que…y’a…comment dire…dans ce potentiel de tensions en fonction de l’objectif ou du sens qu’on donne à l’art, je pense que dans le cadre de l’église y’a quand même un grand lien commun sur lequel on va toujours se retrouver c’est que finalement tout ce que Dieu a créé a été créé pour le louer, notamment l’art, la diversité, la créativité, chaque arbre loue Dieu, la Bible dit, chaque oiseau en chantant le matin loue Dieu. Et la musique c’est pareil, est-ce qu’on fait de la musique pour faire de la musique. Est-ce qu’on fait de la musique pour que les gens aient un bon moment…
M : Ouais! mais si on prenait le parallèle avec la musique, pour moi y’aurait justement cette différence là, ce serait se dire est-ce qu’il y a que la louange. Y’a plein d’autres styles de musique qui pour moi louent Dieu tu vois ce que je veux dire…
P : Y’a pas de style de musique. Enfin notre style c’est un peu rock-pop, à Genève assez rock. Dans d’autres églises plutôt pop. Tu peux louer Dieu avec du jazz…Un temps les églises disaient que si y’a une batterie c’est du Diable. Mais y’a pas de musique chrétienne, y’a que des paroles chrétiennes ou non chrétiennes mais y’a aucune limite, tu peux faire du techno chrétien, tu peux prendre un orgue et faire un ‘tuuuu’, y’a pas de limites dans l’expression musicale de la louange.
M : Mais tu vois ce que je veux dire avec la louange, ça veut dire qu’au culte il n’y a en grande partie que de la louange, ça veut dire que c’est des paroles chrétiennes qui louent Dieu ou qui généralement ne parlent pas tellement de la vie ou de…enfin quand tu dis un arbre loue Dieu c’est pas qu’on le voit en train de chanter avec des petites notes et pis les bras vers le ciel, enfin on peut l’interpréter comme ça parce qu’il a les branches en l’air mais il loue Dieu à sa manière et c’est ces formes là que l’artistique essaie de développer justement en simplement en se disant : « waow c’est beau donc je rends gloire à Dieu » mais c’est pas : « je loue Dieu mais je sais pas pourquoi, c’est parce qu’on me le dit, ou parce que je répète les paroles » tu vois ? C’est essayer de développer aussi tout ce qu’il y a autour. Là tu parlais du côté bouffon, je trouve assez chouette, c’est un peu comme les guignols de l’info qui se moquent des politiques mais dans une certaine limite mais je pense que tout le monde l’accepte, les politiques eux-mêmes tant qu’on dépasse pas les limites du décent…(rire) Mais c’est vrai qu’apparemment le bouffon du roi pouvait vraiment tout se permettre à l’époque des rois de France…
P : Mais tu sais pour revenir à la louange, moi je pense que c’est plus….faut que je fasse attention que je dise pas des choses qui peuvent être mal comprises. Tu vois Noah c’est le leader de la louange et lui il a son idée de le faire et y’a beaucoup de choses qu’il comprend bien mais ça reste dans un certain cadre. Maintenant par exemple si avant la louange on met un count down avec un clip MTV qui est pas du tout chrétien y’a pas mal de gens qui sont dans la ‘band’, ça les dérange parce qu’ils disent que ça met déjà un esprit qui est difficile de mettre après l’esprit de Dieu là-dedans. Donc tu vois y’a quand même chez beaucoup de musiciens un concept de louange quand même assez cadré, tu vois limité alors que par exemple si tu prends là le spectacle de Noël ils vont te mettre des chants de n’importe où, ils mettent même pas de paroles chrétiennes, mais ça c’est de la louange aussi, tout est de la louange, finalement c’est le cœur derrière qui est là. Maintenant c’est comme je te dis, moi je suis d’accord qu’on cadre un peu la louange, on cadre peut-être aussi un peu les messages pour que ça reste quand même… mais c’est d’autant plus que je rêverais d’un théâtre qui dérange un peu tu vois qui, où on reçoit souvent des ‘feedbacks’ : « Mais punaise comment vous osez faire ça… », mais parce que je sais que ça c’est quelque chose, les gens vont plus revenir à cause de ça qu’à cause du reste…
M : Et tu crois pas que c’est parce que c’est un don gratuit finalement. Enfin c’est peut-être ma critique, c’est le fait qu’on va à l’église mais finalement on demande quand même aux gens de louer Dieu alors que bon finalement ils viennent parce qu’ils ont bien voulu venir, au départ, je veux dire une personne qui est pas croyante, on va leur dire, benh non vous ne donnez pas la collecte, c’est normal, c’est la première fois, mais je veux dire dans la louange, on va dire oui ils reçoivent quand même quelque chose, mais on leur demande …alors que si c’est vraiment j’ai envie de dire le mot show mais à quelque part, ouais un spectacle, ben ils ont reçu quelque chose gratuitement pis ça ça peut les toucher d’une manière différente, c’est peut-être ça que tu veux dire aussi qui font que « ah ben j’ai envie de revenir, on s’amuse bien » et sans penser à autre chose, et puis finalement Dieu il fait son œuvre là-dedans, on lui fait confiance.
P : Ca c’est de toute façon ce que moi je crois profondément que nous on peut se mettre à disposition mais toucher un cœur et transformer une vie, c’est absolument hors de notre possibilité, ça c’est l’Esprit de Dieu qui doit le faire et ça ça décontracte, ça relaxe, et donc je me concentre de faire un bon message, la 'band' se concentre de faire la meilleure performance possible et après finalement dans tout ça… Moi je dis toujours 99% de ce qui se fait dans l’église c’est l’œuvre de Dieu et 1% c’est notre job mais ces 1% je veux les faire à 100%.
M : Ben en même temps ça me fait plaisir de t’entendre dire ça dans le sens où… par rapport à la conversion parce que d’une certaine manière on peut dire que si tu dis ça comme ça, l’évangélisation ou la conversion n’est pas un objectif en soi, plutôt la conversion je dirais parce que finalement il appartient à chacun de faire ce choix, enfin tu peux pas toi décider mon but c’est de convertir les gens.
P : Nan je peux pas, je peux pas convertir les gens. C’est aussi quand tu lis dans Actes, tu vois toutes les activités des apôtres, ils venaient ensemble tous les jours, dans les maisons, dans le temple, ils vont partager le pain avec beaucoup de joie, ils vont donner aux gens qui étaient en manque, ils étaient unis, y’a tout un programme qu’ils faisaient et à la fin c’est marqué « et le Seigneur ajouta à l’église tous les jours les gens qui étaient sauvés », donc la croissance vient de Dieu, c’est comme le paysan. Le paysan il peut ‘plug the ground’, il peut mettre des semences, il peut arroser, il peut mettre des pesticides, il peut protéger si y’a une tempête, mais faire grandir la plante il peut pas, ça c’est Dieu qui fait et ça j’en suis très très conscient. C’est pour ça que j’ai même osé dire l’année passée que Dieu nous a donné d’aller de un culte à trois et il nous a dit ça va grandir de 150 à 500 et on a tout fait ce qu’on devait faire nous, mais Dieu il a pas fait son job parce que ça a pas grandi autant qu’on espérait, tu vois. La croissance elle vient de Dieu.
M : Mais c’est ça que je trouve bizarre, c’est que tu dises ça et qu’en même temps tu aies des objectifs de croissance et qu’il y ait quand même cette idée de nombre derrière.
P : Oui parce que ça ça passe par des raisons très pratiques parce que…tu vois si moi j’ai pas une image, c’est aussi pareil pour les finances. Moi je fais toujours un budget en fonction de mes attentes. Par exemple cette année on a dit on veut commencer avec 40'000 francs et on veut finir avec 60'000 francs, puis basé sur ça, sans savoir que ça va se développer comme ça, je peux planifier, savoir « ok benh peut-être en été on peut peut-être commencer à salarier cette personne, là on peut peut-être s’acheter ça » pis on peut planifier en fonction de ces objectifs et puis c’est pareil avec le nombre, si moi je sais que par exemple à la fin de l’année on est 500 personnes et benh je sais qu’il me faut des locaux de cette taille parce que c’est maintenant qu’on doit chercher des locaux pour septembre donc on fait ça en fonction des attentes de croissance. Maintenant si ça grandi moins benh on va corriger ça et si ça grandi plus benh de toute façon il faut qu’on s’adapte, mais on sait environ où on veut aller. C’est pour ça qu’on se fixe des objectifs, c’est pas pour mettre la pression sur nous, « on doit le faire » parce qu’on peut pas le faire, la croissance ça vient de Dieu.
M : Ouais…l’objectif d’évangélisation… mais c’est vrai que c’est un truc que j’ai de la peine à accepter, enfin j’ai pas mal relu les Evangiles ces derniers temps et je me rendais compte, j’essayais de comprendre vraiment ce que Dieu attendait de nous quand il nous dit qu’il faut annoncer la Bonne Nouvelle. Et je me suis dit : déjà honnêtement je ne suis même pas sûr de savoir ce que c’est que cette Bonne Nouvelle, si je pouvais la cadrer clairement, et alors je me suis rendu compte qu’en fait la Bonne Nouvelle en très gros ça se réduisait de dire que le royaume des cieux est proche c’est ce que répète tout le temps Jésus et y’a pas un autre moment où il me semble qu’il dise autre chose, quand il parle de Bonne Nouvelle ça se résume à ça, maintenant qu’est-ce que ça veut dire : Le Royaume des cieux est proche. Alors je lisais que proche c’était pas tellement qu’il était près d’arriver, mais c’est qu’il était sûr d’arriver, alors déjà ah! ça change pas mal, enfin tu vois je me disais si j’ai une chose que je dois dire aux gens dans ce monde que ce soit au travers de l’art ou simplement au travers de ma bouche c’est bien que je sache vraiment ce que je dois dire. Et je me dis qu’est que ça veut dire : Dire aux gens que le Royaume est certain. C’est un peu bidon, quoi. C’est en gros leur dire « tu sais y’a un ciel. » Enfin on va dire ça va être : « Attention y’a un ciel ! » (rire) Mais bon c’est une Bonne Nouvelle !! (rire) C’est plutôt « Réjouis-toi ! »
P : C’est toujours une bonne et une mauvaise nouvelle en même temps. La bonne nouvelle c’est que Dieu est grâce et la mauvaise c’est qu’il est justice. Nan mais là t’es vraiment dans le cœur de ce que je crois et de ce que je vis et de ce qu’on fait à ICF. Jésus il a donné à ses disciples un triple ordre, c’est : Annoncez l’Evangile, guérissez les malades, chassez les démons. C’est avec ce triple ordre qu’il les a envoyés dans les villes. Puis ils sont retournés, lui ont donné un feedback et après il a encore précisé, « prenez rien avec vous, s’ils vous accueillent bénissez-les, s’ils vous accueillent pas maudissez-les. » Mais en principe le job qu’il a donné à ses disciples c’est ça. Et puis comme tu dis justement annoncer l’Evangile ça veut dire le Royaume de Dieu est proche. Maintenant il faut savoir que quand Jésus a fait ça avec ses disciples c’était dans une époque où il était encore en train de former ses disciples, il les entraînait pour ce qu’ils allaient faire plus tard dans un contexte où lui il avait pas encore donné sa vie à la croix. Donc y’avait pas encore la possibilité du pardon des péchés, y’avait pas encore la possibilité de la rédemption, de recevoir la vie éternelle, d’être né de nouveau et de recevoir le Saint-Esprit, tout ça c’était pas encore possible quand Jésus entraînait ses disciples. Et après y’a une différence fondamentale qui s’est passé après sa mort et sa résurrection, où déjà il est venu il a dit : « Prenez le Saint-Esprit » et après il leur a donné un ordre très précis. Il a dit « maintenant vous allez annoncer l’Evangile à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. D’abord attendez de recevoir le Saint-Esprit. » Donc ils sont allés attendre et quand ils ont reçu le Saint-Esprit, le message qu’ils ont annoncé on peut le lire mot par mot : C’était Jésus le crucifié, comme notre Sauveur qui nous donne la vie éternelle et que ceux qui croient en lui vont éternellement vivre avec Dieu et que ceux qui croient pas en lui vont éternellement rester séparés de Dieu. Et le message d’un Dieu qui nous a créés pour une relation personnelle parce qu’il nous aime, donc c’est ça qu’ils ont annoncé et y’a eu un réveil dans la ville de Jérusalem. Et Jésus a aussi dit avant de partir. « Allez dans le monde entier et faites des disciples et enseignez leur à tout tenir ce que je vous ai commandé. » Donc l’Evangile en fait c’est tout l’enseignement de Jésus. Ca se résume sur ces trois chapitres de Matthieu 5, 6 et 7 tout ce qu’il a enseigné sur cette montagne : le principe de tendre l’autre joue si quelqu’un te bat, bénis soit les humbles, bénis soit les persécutés etc.. qu’est-ce que tu regardes la poutre dans l’œil de ton frère etc... Tous les philosophes du monde entier sont d’accord que si les gens se tenaient à ça, on aurait un monde parfait, donc c’est des principes parfaits en principe. Mais pour moi le cœur de l’Evangile c’est quand même beaucoup…parce que pour moi y’a deux grands avantages de suivre Jésus, le premier c’est que ça me donne une meilleure qualité de vie ici sur cette terre dans beaucoup de domaines: J’ai de la paix intérieure. J’ai des outils pour pouvoir être un bon mari, pour être un bon père, pour avoir une famille qui fonctionne. C’est des pratiques de succès dans la vie, ça m’aide à équilibrer ma vie. Donc y’a pleins d’avantages de ‘life style’, qualité de la vie, même si y’a aussi des persécutions, y’a aussi des désavantages, mais la richesse intérieure elle est incomparable. Et le deuxième avantage c’est le fait qu’une fois que je meure, je vais passer mon éternité dans la présence de Dieu et pour moi c’est quand même ça qui compte, beaucoup plus que la qualité de vie ici. Y’a des chrétiens qui passent la moitié de leur vie dans des prisons où ils se font torturer systématiquement à cause de leur foi, c’est peut-être pas très drôle, mais l’éternité c’est quand même ce qui compte. Moi j’ai passé une soirée là avec un mec qui est venu une fois à ICF, il est pas croyant, il est en recherche, puis maintenant je vais le voir tous les jeudis parce qu’il veut comprendre et moi je lui ai tout de suite dit j’ai dit « regarde-moi si je me déplace une fois par semaine pour passer du temps avec toi c’est pour que tu passes ton éternité pas en enfer mais que tu puisses être sauvé pour l’éternité. » C’est ça qui compte finalement et notre mission c’est de sauver des âmes.
M : Y’a un truc qui m’a marqué c’est que y’a quand même des passages où Jésus parle en paraboles, la plupart du temps il parle à la foule en paraboles et il explique après pourquoi et il dit mais pratiquement noir su blanc que c’est afin qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne se convertissent pas et qu’ils ne soient pas guéris. C’est quand même interpellant. Et ça m’a fait réfléchir parce que je me dis, à quelque part, le théâtre c’est un peu une forme de parabole on peut dire, c’est raconter des histoires d’une manière…, et je me dis finalement c’est comment on transmet le message consciemment avec amour, donc on le donne mais on le voile finalement presque volontairement pour que ce soit vraiment ceux qui veulent qui le trouvent… enfin tu vois après je repensais à cette image qu’on ne doit pas donner des perles aux cochons[72], y’a un peu ce côté où il faut aussi donner un défi tu vois et souvent je me sens mal à l’aise avec l’idée de donner l’Evangile à des gens qui ne me l’ont pas demandé quoi parce que je me dis c’est sûrement pas des fruits mûrs entre guillemets et ils vont se retourner contre moi comme les cochons, à quelque part ils en veulent pas donc à quelque part je travaille presque à ce que je ne veux pas quoi. Enfin c’est un peu ce que je vois aussi en pédagogie, quand tu travailles avec des élèves c’est comment tu leur donnes un défi, un intérêt pour qu’ils y aillent eux, mais tu vas pas leur amener ça dans la bouche et que dès fois j’ai un peu cette image de l’église où les gens viennent un peu morts et on leur met tout dans la bouche mais ils ressortent et ils continuent leur vie et pis, enfin c’est aussi une critique que je lisais parce que c’est vrai que pendant mes années en Belgique j’ai pas beaucoup été à l’église, je me suis un peu plus formé seul entre guillemets mais au début j’avais aussi l’occasion d’aller plus dans des églises africaines, un peu pentecôtistes aussi, mais enfin les églises africaines elles sont un peu toujours entre deux et y’avait des avantages à ça qui étaient assez chouettes c’était que la louange était complètement différente, ça durait des plombes, ça durait une heure de louange, mais y’avait du positif là-dedans c’était que y’avait un message et le gars il vient et il parle pendant une heure et demie sur trois lignes de la Bible et pis t’en ressort, t’as l’impression d’avoir grossi comme ça de la tête, pis pour dire que c’est vrai que je venais très méfiant pis que j’ai découvert aussi plein de choses très riches…. Je sais plus où je voulais en venir par rapport à ça.
P : Mais tu parlais, t’étais parti du fait que Jésus avait dit, qu’il parle en paraboles pour qu’ils ne croient pas et pis tu demandes par rapport à ça quel pourrait être le rôle du théâtre dans l’église
M : Ouais voilà mais le rôle de l’église en général finalement…
P : Moi je pense que Jésus a fait les deux.. Il a fait trois choses. Il a utilisé les paraboles pour rendre compréhensibles, à des gens qui comprennent pas, les principes du royaume de Dieu. Donc il a pris ça justement pour ouvrir les yeux. Alors les paraboles qu’il prend justement dans ce prêche sur la montagne, c’est des images que tout le monde comprend, qui sont claires, qui sont évidentes.
M : Ouais mais elles ont toujours quelque chose d’encore plus profond, tu vois. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire dans le sens que si on les met pas en pratique c’est qu’on les a pas vraiment comprises.
P : Ouais mais c’est ça parce que si tu prends le parcours de Jésus c’est exactement, tu vois moi je vois ICF un peu comme un entonnoir. [Il dessine un schéma] Donc là t’as la grande masse des non croyants et des athées pis là t’as les chrétiens qui vivent avec Jésus et pis moi je vois un processus là qui va de -10 à +10 c’est ce truc d’angle avec zéro ici, ça c’est pour moi le processus de conversion, là ça devient de plus en plus serré, là y’a beaucoup de gens qui quittent pour après se rassembler dans un bac.. et puis Jésus dans son parcours il agit pendant trois ans, on parle des années de la popularité, donc dans les deux premières années il a surtout fait des choses qui l’ont rendu populaire, donc déjà il a parlé un langage que les gens comprenaient, il a guéri des malades, il a fait des miracles, etc… les foules le suivaient tu vois il leur donnait à manger etc.. et pis après un certain moment il a commencé à serrer la vis tu vois de plus en plus, gentiment, systématiquement et il a commencé de plus en plus à faire des paraboles que la grande masse ne comprenait plus alors qu’il allait les expliquer aux disciples et eux ils comprenaient pour finalement donner des paraboles que même les disciples ne comprenaient plus donc tu vois il a vraiment serré le truc. Dans Jean : 6 à un moment là encore il a fait des miracles, il donnait à manger, il a multiplié la nourriture, 20'000 le suivent et lui il s’est cassé et en fait en traversant le lac à pied tu vois et après ils le rejoignent et lui demandent « Comment est-ce que t’as fait ça » et là après il se retourne contre eux et pis il leur dit « Vous devez me manger, si vous ne me mangez pas vous n’avez pas accès aux choses du Royaume de Dieu. » Là ils disent « Mais ça va pas on peut pas te manger » – « Si vous ne me mangez pas vous n’avez pas accès au Royaume de Dieu. Je suis le pain, vous devez me manger » Et là ils se cassent tous ils se disent « il est tarré », tu vois c’est Jean 6. Tu vois, il a choqué des gens. Ils pouvaient pas comprendre de quoi il parlait. Et il leur donnait aucune chance, il leur a pas donné d’explications, il leur a dit : « Vous devez me manger. » Et là il se tourne vers ses disciples et il leur dit : « Vous voulez aussi partir ? » et pis les disciples ils font : « Tu veux qu’on aille où, on a tout quitté pis on t’a suivi, on a pas le choix. » Et moi je pense que dans ces paraboles y’a un peu de ça. Et moi je pense que nous dans l’église on doit aussi avoir un peu un processus qui d’abord attire les gens et qui leur rend accessible, qui leur donne envie mais après qui gentiment les amène aussi à faire des choix et à faire des pas mais toujours des pas qu’ils peuvent prendre. Il faut toujours leur donner une chance. Par exemple un autre gaillard que je suis en train de consolider benh y’a encore en novembre il était tellement récalcitrant, tu vois il venait de l’animisme indien et pis ben depuis ce temps il a déjà découvert la valeur de déjà venir aux cultes chaque dimanche. Get-Free Week-end pour lui c’est encore un gros truc, mais il réfléchit déjà à ça aussi, mais le jour où il ira au Get-Free Week-end il sera confronté avec des choses comme confesser ses péchés, avec le baptême, suicide rituel tu vois. (rire) Maintenant la question c’est le théâtre, tu le places où, tu vois (sur le schéma). Le théâtre il se joue quand même plutôt ici tu vois (sur le schéma dans la partie supérieure de l’entonnoir, soit plutôt pour toucher les non-croyants.)
Pour moi l’objectif du théâtre, c’est pas forcément de faire ça (dans le processus de conversion), c’est quand même quelque part ici (en haut) ou alors on le reprend là (en bas, soit plutôt pour parler aux gens déjà croyants.) Peut-être que y’a des moyens aussi d’intégrer le théâtre dans le processus de conversion, ça je sais pas tu vois… ça je peux pas dire
M : Ouais je pense que ça peut prendre pas mal de formes…
P : Si moi je peux te dire comment moi je verrais le théâtre, où je placerais le théâtre dans ICF en fait c’est dans deux domaines. Le premier domaine c’est tout simplement dans les cultes pour faire toutes ces choses dont on a parlé, c’est donc d’enrichir le culte, de soutenir le message, de créer en soi un message, de créer des émotions fortes, d’avoir un peu cette tache de couleur un peu cette épice dans les cultes de quelque chose qui peut faire aussi un peu mal, d’avoir un élément dont on parle après, où les gens disent : « waow, pourquoi je suis pas venu, j’ai loupé quelque chose. » Tu vois tous ces éléments là pour que l’ensemble avec la louange, le message, fasse passer un message. C’est donc en quelque sorte une instrumentalisation du théâtre pour annoncer l’Evangile. Et l’autre domaine dont on a déjà parlé la dernière fois, qu’on a discuté, où je m’oriente aussi beaucoup sur ce que font Mosaïc Church, c’est de créer aussi une espèce de network qui crée des liens entre le monde des artistes et l’église par un réseau déjà de relations mais par un réseau peut-être aussi d’activités où les barrières entre l’église et le monde se fondent et disparaissent. Maintenant sous quelle forme faire ça, y’a beaucoup de formes envisageables, il s’agit peut-être de donner la scène du culte aussi à des artistes ou à des groupes de performance, peut-être des musiciens etc.. qui sont pas croyants qui sont en dehors de l’église, de leur donner la scène, de créer peut-être des ateliers, je sais pas, y’a beaucoup de formes comment on peut faire ça. Pour moi surtout ce que fait Mosaïc c’est connecter connecter connecter, ça veut dire que dès que t’as un musicien ou un acteur ou quelqu’un qui est dans le domaine de l’art tout de suite le connecter avec d’autres artistes même pas forcément que de l’église, vraiment penser large pour créer un réseau, donc ça pour moi c’est un deuxième pilier d’intégration pour le théâtre. Après à long terme j’en vois encore un troisième qui pour moi est mon rêve en fait. C’est de créer une Académie où on va enseigner trois différentes matières. La première c’est la théologie, la deuxième c’est le leadership et la troisième c’est l’art : musique, théâtre, danse, audio-visuel et que cette école d’art ait un tel niveau qu’un artiste sincère comme toi qui veut se développer doit pas aller en Belgique mais qu’il vienne à ICF parce que c’est la meilleure formation tu vois. Et si on arrive à faire ça alors on a atteint notre objectif parce que là les meilleurs des meilleurs vont venir et vont être formés et l’église et le monde vont se mélanger.
M : Moi là où ça me parle ce que tu me dis c’est l’Evangile ne devient plus un produit de consommation à vendre mais se vit vraiment et en fait les gens l’expérimentent, ça veut dire que pour moi quand tu parles de connexion ou de culture dans la ville, la question ne se pose même plus, c’est les chrétiens qui vivent vraiment l’amour et le don et pour moi là Dieu il fait son œuvre, y’a pas moyen qu’il ne le fasse pas et ça nous regarde même plus tu vois à quelque part et je pense que c’est à ce moment-là où tu parlais de lâcher hier qu’en fait nous on lâche parce qu’on est tellement occuper à donner pis ouais justement à former, ça peut être former des gens mais… je pense qu’on peut aussi critiquer tout ce qu’a fait l’Eglise catholique mais elle s’est quand même beaucoup donnée, surtout les Jésuites, dans les écoles et tout ça et je crois…
P : L’Eglise catholique c’est une histoire de succès sans comparaison, ça fait 2'000 ans qu’elle tient la barre et faut y aller et ils en ont rien à foutre même encore aujourd’hui le préservatif en Afrique, ils bougent pas, ils tiennent. Tu vois les temps changent, les cultures changent, les principes changent mais l’Eglise catholique elle reste, tu vois et y’a du mauvais, mais y’a beaucoup de bon là dedans aussi.
M : Mais je disais par rapport à l’enseignement tu vois des Jésuites qui ont créé des écoles et donc c’est vrai qu’en Belgique, bon c’est très clair au niveau de l’importance qu’a eu le catholicisme là-bas mais ça reste les meilleures écoles et beaucoup de gens même s’ils ont après un peu renié leur foi, ils sont reconnaissants vis-à-vis de ça et quelque part c’est quelque chose qui fait que l’Evangile ils le vivent quand même…..C’est marrant parce que je commence à rêver mais je pensais pas à une Académie mais à une école mais plus pour les petits en fait, peut-être qu’on arrivera à créer une grande école …
P : Nan mais c’est clair que derrière tout ce que moi je fais, y’a aussi une arrière pensée stratégique parce que moi j’aime bien tous ces ‘side-effects’, tu vois de pouvoir développer des talents et tout ça mais finalement mon objectif ça reste de sauver des âmes donc d’établir des églises et puis moi je suis conscient que si nous on arrive à attirer et à former les meilleurs musiciens, les meilleurs artistes, les meilleurs acteurs, les meilleurs techniciens en vidéo/multimédia, les meilleurs théologiens on va pouvoir aussi après en gagner pour eux-mêmes de nouveau commencer des églises partout. C’est un instrument. Chaque réforme et chaque réveil a aussi eu son lieu où ils forgeaient leurs troupes et leur élite et ça j’en rêve. Je connais un modèle qui fait ça c’est le CCC donc à Sydney, ils ont une succursale à Lausanne. Ils partagent le local avec ICF Lausanne. Là en 20ans ils ont implanté quelque chose comme 400 églises dans le monde. Et eux ils ont une université où justement tu peux étudier la théologie, leadership ou les arts. Et les meilleurs artistes du monde vont là-bas parce que c’est la meilleure école d’art du monde donc les meilleurs des meilleurs ils les gardent pour eux-mêmes et pis les autres soit ils retournent ….mais parce que c’est dans le cadre d’une église y’en a beaucoup qui sont confrontés à l’Evangile, qui deviennent chrétiens et qui après mettent ce qu’ils ont appris à disposition à l’église quelque part dans le monde entier. Et du coup y’a des églises CCC qui explosent partout comme ça dans le monde avec beaucoup de succès. Y’a beaucoup d’artistes qui rêvent de se développer, d’êtres bons et en même temps mettre ses dons au service de Dieu et dans un cadre comme ça tu reçois les deux, tu vois, tu es formé et en même temps tu reçois une vision et un cadre où tu peux mettre ça au service de Dieu.
M : Mais ça fait peur parce que, limite je peux même parler pour moi-même, pourquoi est-ce que je suis allé, disons que j’avais entendu parler d’écoles en Angleterre mais ça restait flou et alors ma peur c’était toujours d’être restreint dans, de me dire « benh le théâtre quand t’es chrétien c’est ça. » Et alors je me dis « benh non moi ce que je vois au cinéma moi c’est ça qui me plaît »… Tu vois ce que je veux dire. C’est que souvent l’église elle a tendance un peu, il faut que ça aille là et pis il se trouve que c’est quand même pas non plus ce qui se fait forcément dans le monde, or tout n’est pas à jeter dans le monde, je veux dire quand on parle d’art ou de culture, peut-être que les chrétiens ont quelque chose à amener de supplémentaire, c’est difficile à dire mais si on regarde toute l’histoire de l’art à quelque part, il y a eu des gens qui étaient croyants, yen a eu beaucoup d’ailleurs mais on peut toujours se demander si c’était pas l’influence de l’Eglise qui faisait que c’était eux qui étaient connus. Enfin j’ai envie de croire que Dieu il a mis des dons chez tout le monde que ce soit des croyants ou des non-croyants. Enfin pour répondre à ce que tu disais…c’est peut-être là où on se sépare, je sais pas, c’est peut-être là où moi j’aurais envie de croire, c’est peut-être utopique ou naïf mais qu’au fond tout le monde a envie d’y croire, en Dieu je dis et que c’est peut-être dangereux, c’est peut-être mon avis, de vouloir à leur place quoi. De vouloir qu’ils croient à leur place, c’est-à-dire, comme tu dis c’est ce côté un peu stratégique de dire qu’il faut qu’ils soient sauvés, qu’à la fin on puisse dire ces gens sont sauvés, enfin moi ce qui me fait peur c’est peut-être le fait que je me dis qu’en fait qu’on est jamais définitivement sauvé, enfin peut-être que je me trompe je sais pas, enfin tant qu’on est pas mort on est quand même dans ce monde-là et pour moi y’a beaucoup de gens qui ont été chrétiens pendant 40-50ans et qui finalement disent bye-bye parce que peut-être les racines n’étaient pas assez profondes, ça revient un peu aux paraboles des racines de la parole qui prend racine mais dès fois ça prend du temps, enfin quand je vois ce dessin là je me dis, euh c’est peut-être de dire que ça doit passer par là (par l’entonnoir) alors que peut-être ce mécanisme il se fait dans plein de domaines alors que comme tu dis ce processus c’est Dieu qui le fait (la conversion) et que donc si on travaille sur ce domaine là (en haut de l’entonnoir) peut-être que la personne elle va pas se convertir là mais là (en dehors de l’entonnoir) tu vois et peut-être que ce sera dans 10ans et qu’après elle sera très influente là tu vois enfin je sais pas (rire), je sais pas si tu me suis ?
P : Ouais ouais je te suis. ‘Derek Tience’ il a une fois dit que quand on sera mort et au paradis on sera étonné de trois choses. Premièrement qui y est, deuxièmement qui n’y est pas et troisièmement que moi j’y suis. (rire) Finalement c’est Dieu qui donnera son jugement terminal mais pour moi les choses sont pas très compliquées Marc, tu sais Jésus dit que ceux qui croient et se font baptiser sont sauvés et ceux qui ne croient pas sont condamnés. Un point c’est tout. La question c’est est-ce que tu crois en Jésus ou pas. Ca se réduit à ça. Après y’a la question si quelqu’un est né de nouveau, est-ce qu’il peut de nouveau perdre son salut. Là y’a des indices dans les deux directions. D’un côté moi je crois quand même…ouais la Bible elle est claire là-dessus. Tu peux dans le fond croire en Jésus mais après vivre dans le péché et quand même être sauvé, mais ça aura quand même des conséquences dans l’éternité, tu vois dans 1 Corinthiens 3, c’est marqué très clairement tu vois. Le fondement tu peux pas le changer c’est Jésus, c’est pourquoi ce tunnel il est quand même serré tu sais. Y’a qu’un chemin vers Dieu c’est Jésus. Moi je dis toujours y’a mille chemins pour aller vers Jésus mais y’a qu’un chemin pour arriver à Dieu, c’est à travers Jésus. Donc celui qui passe pas à travers Jésus il va pas arriver vers Dieu. Enfin là c’est une discussion que je dois pas forcément mener avec toi mais c’est une discussion que je suis en train de mener avec des gaillards que je suis en train de consolider qui pour eux c’est encore pas du tout évident pourquoi Jésus est le seul chemin, parce qu’eux ils remettent vraiment ça en question.
M : Mais moi ça se place pas à ce niveau-là parce que je suis persuadé que Jésus c’est le seul chemin, seulement c’est comment on décrit ce chemin, il est quand même pas si clair que ça, je veux dire, Jésus ça reste un mystère pour beaucoup. On peut lire la Bible et puis tout d’un coup réaliser qu’on a trois interprétations différentes pis on se dit mais non Jésus ce qu’il veut au fond c’est pas ça c’est ça, tu vois ce que je veux dire, y’a quand même un choix que je dois faire et j’ai l’impression d’être avec Jésus quand je le fais. Il se trouve quand même que Jésus dit « Certains se réclameront de moi et je ne les connaîtrais pas au jour du jugement » et ça pour moi ça veut dire que finalement Jésus, la seule manière de savoir si on est avec Jésus c’est l’amour, enfin c’est peut-être le seul code…
P : Moi je dis c’est d’avoir une révélation de Jésus et là c’est de nouveau quelque chose que nous on peut pas faire. Parce que c’est vrai que beaucoup de gens ils le voient, ils entendent parler de lui mais ils n’ont pas de révélation que c’est le Messie, que ma vie c’est lui, que lui il vit à travers moi, ils ont pas cette révélation, donc ils le regardent toujours depuis dehors, ils l’admirent, ils le respectent, ils le suivent, ils apprennent, ils s’adaptent et c’est vrai qu’après ce Jésus là après il a mille facettes. Il a un côté social, un côté guerrier. Tu peux choisir aussi. Tu peux devenir une Mère Térésa, mais la révélation de Jésus ça c’est autre chose, ça c’est quand il t’envahit. Ce soir je vais encore consolider deux de ces gaillards mais je leur dis ça tout le temps, l’essentiel dont tu as besoin tu peux pas le faire, tu as besoin d’une révélation, mais si tu la veux tu peux commencer à demander à Dieu qu’il te la donne mais c’est le Saint-Esprit qui te donne. C’est comme dans cette histoire que je t’ai racontée où Jésus se tourne vers Pierre et dit : « Vous voulez aussi partir ? » et il répond « Où tu veux qu’on aille » et après Jésus il continue et il dit : « Qui les gens disent que je suis » alors ils répondent « Certains disent que tu es Elie, un prophète » bla bla. Et Jésus dit : « Et toi tu dis quoi ? » et Pierre répond : « Tu es le Fils de Dieu, tu es le Messie » et après Jésus lui dit : « Ca tu ne le dis pas de toi-même, tu le dis parce que tu as reçu une révélation du Saint-Esprit. » Et c’est exactement de ça que je parle. C’est ça qu’il faut, c’est la révélation de Jésus.
M : Mais là je pense qu’on touche…, parce qu’on a peut-être l’impression de s’égarer mais en fait je pense que c’est assez fort parce que moi je trouve que le terme évangélisation est pris de manière extrêmement péjorative dans le monde, j’aurais beaucoup de mal à dire que je fais un théâtre pour évangéliser, au fond je le remets pas en question ça, seulement il faut qu’on se mette d’accord sur ce que ça veut dire évangéliser et je pense que quand on le précise comme ça, finalement là ça me plait parce que je me dis je suis pas Dieu moi, je vais t’aider….
P : Toi t’es un acteur qui fait son art pour louer Dieu
M : Ouais ça c’est dans mon métier si tu veux mais même en tant qu’homme par rapport à un autre homme qui cherche sincèrement Dieu c’est comment à un moment donné « Moi je te suis plus, à un moment donné je te suis plus, je veux dire, c’est ton chemin et je te donne tout ce que je peux te donner pour que tu le trouves parce que le salut il te le faut mais….mais même ça je peux pas te convaincre »…Mais c’est bien qu’on ait pu aborder ça…..
Ouais je pense qu’on te fait souvent la critique d’une église spectacle/show, comment tu concilies ça avec ce qu’on attend peut-être d’une église ou ce que Jésus dit d’une maison de prière, le côté plus méditatif, ça je pense que tu m’en avais déjà parlé. C’est le côté où finalement le vrai culte pour toi il se fait à la maison c’est ça, il se fait dans le culte personnel avec Dieu ?
P : Oui et aussi ICF c’est un style. Parce que là de nouveau l’adoration, la louange par exemple comme elle est décrite dans la Bible, y’a vraiment mille facettes, y’a mille façons de faire ça.. Y’a des gens qui ont rencontré Dieu dans le silence et y’a des gens qui ont rencontré Dieu dans la tempête. Et y’a des passages où c’est marqué : « Dieu n’était pas dans l’orage, pas dans la tempête mais il était dans le petit vent tout doux » Et contrairement à ça t’as par exemple Psaume 150 qui nous dit « Louer Dieu avec tout ce qui fait du bruit et un maximum de bruit. » Ou Psaume 100 qui dit que quand vous vous approchez de Dieu, faites le avec acclamation en réalisant que ce que vous êtes vous ne l’êtes pas par vous-mêmes mais c’est Dieu qui a fait de vous ce que vous êtes et donc parce que vous réalisez ça mais faites du bruit. Donc y’a pas de limites et pas de formes de comment on peut louer Dieu, maintenant c’est plutôt une question de où placer où et puis aussi une question de goûts personnels et je trouve hallucinant qu’à côté d’ICF il y a un deuxième mouvement religieux qui est un succès énorme parmi les jeunes, c’est Taizé où tout est dans la contemplation, dans la méditation, dans le calme, les chants sobres et pis des dizaines de milliers de jeunes reçoivent des inspirations spirituelles assez impressionnantes parce que c’est une toute autre forme. Donc nous c’est plutôt Psaume 150 ou Psaume 100, c’est plutôt dans le bruit qu’on veut louer Dieu, dans l’enthousiasme mais on aimerait aussi dans le cadre des cultes ouvrir des espaces aussi de calmes et de méditations et de contemplations par exemple en donnant un moment de réflexion après le culte avec une musique calme, les temps de Sainte-Cène. Même encore plus développer ce côté-là. Parce que c’est vrai on vient d’interviewer des managers non croyants : Comment devrait être l’église pour eux. Mais vraiment des gens durs qui disaient : « Moi j’ai pas envie de mélanger la spiritualité avec mes relations. J’ai pas envie de mélanger la spiritualité avec mon ‘daily life’. Donc si tu me donnes des explications comment vivre sur une base spirituelle, ça m’intéresse pas. J’ai pas envie de perdre ma liberté. Tout ce qui est religion organisée, non-merci. » Donc vraiment le contraire de ce que nous on vit. Et puis après il va encore raconter que leur expérience spirituelle c’est dans la nature, c’est monter sur le mont Sinaï au lever du soleil, ce genre de trucs. Pis du coup tu vois si on veut quand même un petit peu transmettre ces besoins et ben on pense peut-être à la fin d’un message par exemple faire juste un ‘slide-show’ avec des jolies images de la nature avec une petite musique calme. Tu vois ce genre de trucs, pour un peu ouvrir des espaces où ça ça peut aussi avoir lieu. Après c’est vrai que la profondeur, la solitude, la contemplation, ça se passe dans le culte personnel ou peut-être dans des moments où on prend des temps comme ça dans le cadre du workshop. Ou notamment maintenant on fait le worship-boost où on va faire des ateliers et un atelier c’est méditation et un atelier c’est prière-intercession alors que d’autres ils vont faire des ateliers délivrance où y’aura du bruit. Alors tu peux choisir
M : Ouais parce que c’est vrai que bon finalement ce qui différencie l’église du monde c’est quand même ce moment de calme et de réflexion sur soi-même. Y’a pas que ça évidemment. Disons que les jeunes ils ont l’habitude de faire la fête et des fois ça peut avoir l’impression, mais est-ce qu’on arrive à les sortir de ça pour les faire aller ailleurs.
P : Mais là de nouveau c’est la même chose. C’est en principe on parle leur langage pour après leur faire découvrir quelque chose qui pour beaucoup est nouveau.
M : Et sinon toi tu vas voir des spectacles, du théâtre ou plutôt cinéma ?
P : Oui ça m’arrive. Cinéma bien sûr, même théâtre, oui avec grand plaisir d’ailleurs. Opéra, musical, show de danses. Nan moi je vais voir un maximum en fonction de mon temps et de mon budget aussi. Des concerts aussi…
M : Sinon autre question : Comment te situes-tu par rapport à l’intégrisme dont le monde s’inquiète ?
P : Explique-moi le mot intégrisme.
M : Ah! bonne question, je vais sortir mes petits papiers de triche comme ça je t’en donne une définition exacte : Intégrisme : Attitude qui consiste à refuser toute évolution d’une doctrine, religion.
P : Mais tu peux m’expliquer un peu plus précisément.
M : Le monde s’inquiète de la recrudescence de l’intégrisme. Je sais pas si t’as déjà entendu ça à la télévision.
P : Nan
M : Ben c’est l’intégrisme musulman, c’est-à-dire islamisme avec toutes ses formes de violence et tout ça et l’intégrisme qui se retrouve aussi dans le christianisme..
P : Mais j’arrive toujours pas vraiment à comprendre ce que c’est l’intégrisme.
M : Mais souvent c’est justement le problème que le terme n’est pas clair pour la plupart des gens. C’est que souvent ils assimilent ça. Mais en fait si je te pose cette question, moi si je dis que je vais dans une église évangélique, 80% des gens vont cataloguer ça dans l’intégrisme. Donc ils assimilent ça avec l’Islam, les conquérants, parce qu’ils voient des documentaires comme ‘Jesus Camp’ par exemple avec des gens qui font la guerre pour Dieu et qui font de la politique…
P : Mais c’est la même chose que le fondamentalisme ?
M : C’est ça : Tendance religieuse conservatrice et intégriste.
P : Mais intégriste ça veut dire quoi exactement ? Ca veut dire que t’essaies d’intégrer des gens dans un système ou bien…
M : Ouais que toi tu t’intègres en tout cas pas. Donc c’est les autres qui s’intègrent éventuellement, mais ta doctrine, donc si ta doctrine c’est le christianisme, pour toi elle n’évolue pas, mais c’est ça qui est problématique c’est qu’évidemment nous en tant que chrétiens, on se dit benh le message évangélique, il a pas à changer, il est juste, mais il faut comprendre que pour une personne du monde, c’est complètement démodé ça, donc il faut voir sous quel plan, la manière dont on l’amène est différente, mais quand même ça reste le même.
P : Ok, pis c’est quoi la question ? Comment je me positionne ?
M : Comment tu te positionnes ouais…
P : Moi je comprends que pour des gens qui regardent la religion depuis dehors c’est énormément confus et difficile de voir la différence entre l’effet qu’a, de manière générale, une religion et l’effet qu’a une relation avec Dieu. Pour moi la religion par définition c’est l’effort de plaire à Dieu à travers mes actes. Donc c’est un manteau que je mets depuis dehors et qui n’a rien à voir avec mon cœur. Donc c’est des actes, c’est une manière d’agir, donc forcément cette religion vu qu’elle est axée sur des actes, va faire de moi une personne qui s’agrippe à des règles, à des ‘ça je fais’, ‘ça je fais pas’, donc devenir légaliste. Maintenant vu que chaque personne est pas capable de 100% vivre les lois qu’elle aimerait vivre, je vais aussi entrer dans une espèce de tension et une frustration entre ce que j’aimerais être et ce que je suis, donc je vais tendanciellement commencer à devenir tendu, frustré, vivre dans la crainte et je vais devenir amer et je vais commencer à devenir jugeant parce que je vais pas supporter que d’autres ne fassent pas ça et je vais les combattre, donc ça c’est toute la conséquence de la religiosité, de l’essai de plaire à Dieu à travers mes actes. Et ça c’est ce que le monde voit depuis dehors, il le voit dans le monde islamique et il le voit aussi dans le monde chrétien parce qu’effectivement beaucoup de chrétiens vivent exactement dans ces mêmes moules qui sont très jugeants, ils sont religieux. Alors c’est pour ça que c’est difficile de comprendre, parce que ce qui ne change jamais dans la foi chrétienne c’est le fond, le fond ne change jamais mais ce qui va toujours changer c’est la forme. Alors que dans la religion c’est exactement le contraire : Ils se battent pour que la forme ne change jamais alors que le fond il n’a aucune signification. « Vous donnez la dîme de vos épices mais ce qui est vraiment important, la miséricorde ça vous ne le vivez pas… » Et dans le monde musulman, ils s’accrochent à des principes, à des règles, à une culture du Moyen-Age où on lapidait encore les femmes et ils veulent transmettre ça dans notre culture, donc c’est la forme. Et l’intégrisme il est absolument pas sympathique, il est horrible parce qu’on essaie de t’imposer une forme qui ne correspond pas à ton cœur et donc tu vas rejeter ça c’est normal et vu que les islamistes et même les fondamentalistes chrétiens ils font ça, c’est normal qu’il y ait une réaction agressive contre ça et du coup ça provoque de nouveau une réaction agressive et peut-être même le combat violent voire même tout ce qu’on voit dans ce monde. Alors que ce que Dieu veut c’est pas du tout ça. Il veut changer le fond et pas la forme de ton cœur. Il veut te changer depuis dedans vers dehors et la forme elle va toujours s’adapter. C’est la même chose dans ces lettres de Paul où il fait beaucoup de coaching culturel à l’époque où moi je me défends contre des opinions évangéliques qui sont tellement bornées parce que ce qu’il faut comprendre c’est le principe que Paul explique et pas l’exemple de l’application parce que c’est absolument absurde. Par exemple un principe qui dit « Soumettez-vous aux autorités » Ca c’est un principe qu’il dit. Et après il applique cela par exemple en disant « Vous les esclaves… » Maintenant en déduire que Dieu il veut de l’esclavage c’est une erreur. Maintenant qu’est-ce que Paul dit littéralement sur comment conduire ma voiture, rien. Le principe il est clair [respecter le code de la route], mais l’application y’a aucun exemple donc je conduis ma voiture comme je veux, tu vois dans cette logique. Les femmes qui doivent se voiler, qui doivent se taire dans l’église, y’a un contexte culturel où Paul dit « Ne prenez pas la liberté que vous avez en Christ pour maintenant être une provocation culturelle » Les femmes qui doivent se taire dans l’église, mais… Moi je suis sûr qui si Paul s’adressait à nous aujourd’hui, il dirait : « Maintenant que Dieu a enfin libéré les femmes et qu’elles peuvent enfin vivre les dons et les talents que chaque homme a…. » Y’a pas un don de leadership seulement pour les hommes. Maintenant y’a des chefs d’entreprise féminines. Tu vois « Maintenant que la société est arrivée là, comment vous les chrétiens vous pouvez encore toujours tenir à une culture d’il y 150ans. » Il faut comprendre le principe. Et pour moi cette question elle se répond là tu vois. Si quelqu’un s’agrippe à une forme ou s’il est religieux que ce soit chrétien ou islamique, c’est pas ce que Dieu veut. Dieu veut entrer dans nos cœurs et transformer nos vies. Transformer le fond et ça va automatiquement s’exprimer dans la culture.
M : Et ça tu prends conscience que ça peut très bien intervenir à ICF aussi, que la limite n’est jamais claire, que les gens rentrent très vite dans cette mentalité-là de se conformer, parce que finalement toi aussi tu vas être amené à donner des exemples et à donner…
P : Ouais et en plus de cela, notre société vit la grâce alors une église qui prêche la grâce c’est un ‘obrainer’, parce que si toi tu vas dire à tes copains : « Je me suis divorcé j’ai une autre femme, j’ai une maîtresse. » Ils vont tous dire ok, alors que y’a 150 ans tu te faisais encore lapider pour ça. On vit dans une société de grâce donc la grâce c’est un ‘obrainer’..
M : C’est quoi le terme ‘obrainer’ ?
P : Un ‘obrainer’ c’est un message qui veut rien dire, qui ouvre une porte qui est déjà ouverte….
M : Donc pour toi la grâce c’est une porte ouverte
P : Nan pour moi la grâce c’est pas un Evangile pour notre culture parce qu’on vit la grâce alors à mon avis l’église doit de nouveau enseigner la loi aussi, tu vois les principes universels que Dieu nous a donnés. Mais en fait c’est comme un intermédiaire parce qu’en découvrant la loi je découvre aussi mon incapacité de la vivre et après à travers ça je peux découvrir ce qu’est la vraie grâce, pas juste du j’m’en-foutisme..
M : Mais donc c’est pas vraiment de la grâce ce qu’il y a aujourd’hui, c’est une sorte de libertarisme…
P : Ouais ouais c’est du j’m’en-foutisme…
M : C’est une fausse liberté en plus parce que c’est un autre esclavage aussi.
P : Mais ce qui fait que effectivement et ça pour moi ça crée une tension, moi j’ai remarqué qu’on a eu le plus de conversions à ICF dans des mois où par exemple on enseignait les dix commandements mais vraiment ‘hardcore’ tu vois. « Tu n’es pas sensé voler, si quelqu’un te prête quelque chose, si tu le lui rends pas t’es un voleur », tu vois, on était comme ça. C’est là qu’on a eu le plus de conversions. Pourquoi, parce que les gens tout d’un coup ils réalisent « mais punaise j’suis dans la merde. » Et l’église doit enseigner la loi mais après le danger c’est qu’après les gens ils s’agrippent à la loi et ils deviennent religieux donc il faut après tout de suite aussi passer de nouveau à la grâce mais enseigner la loi c’est nécessaire. Et je comprends que pour le monde qui regarde ça depuis dehors qui voit comme ce que tu dis les intégristes, c’est énormément difficile de discerner entre la forme et le fond, parce que la seule chose qu’ils voient de dehors c’est la forme. Voir des gens qui se laissent pousser de barbes et qui font exploser des teenagers et qu’ils arrivent pas à comprendre à quoi ça rime et pis après s’ils voient ce même moule chez des chrétiens, effectivement ils rejettent ça, ça m’étonne pas
M : Je pense que c’est vraiment une barrière à laquelle on est confronté qui fait que la plupart des gens sont intolérants vis-à-vis de la religion, mais c’est difficile de dire qu’on est anti religieux pour autant, parce que religion ça veut dire quoi ? Ca veut dire relation avec Dieu donc quelque part, parce que tu vois tu différencies religion et relation avec Dieu mais si on va dans le terme même ça veut dire la même chose mais il faut bien se comprendre sur les mots…Voilà je crois qu’on va arrêter là. Je te remercie.
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Index
A
Abraham, (le Patriarche) · 21, 22
Amrouche, Jean · 32, 52
Aristote · 53
Artaud, Antonin · 41, 63
B
Baricco, Alessandro · 36, 37
Béjart, Maurice · 33
Berdiaeff, Nicolas · 5, 8, 12, 16, 18, 33, 64
Botticelli, Sandro · 34
C
Caffaro, (le Père) · 46
Calderon · 44
Calvin, Jean · 43
Chateaubriand · 61
Claudel, Paul · 29, 32, 38, 51, 52, 53, 57, 59, 60, 61, 63, 66
Collingwood, J.R. · 29
Constantin, (l'Empereur) · 11, 36
Conti · 45
Copeau, Jacques · 60, 61
Corneille, Pierre · 49, 61
D
Dante · 17, 51
David, (le Roi) · 64
De Curel, François · 51
De Reyff, Simone · 46
Dostoïevski, Fedor · 8, 38
Dylan, Bob · 15
E
Elisabeth, (la Reine) · 44
Ellul, (Jacques) · 11
Esaïe, (le Prophète) · 1
Ezéchiel, (le Prophète) · 29, 30, 31
F
Fumaroli, Marc · 42, 43, 48
G
Gauchet, Marcel · 12
Gelas, Gérard · 20
Gélase, (le Pape) · 11
Ghéon, Henri · 52, 53
Gide, André · 29, 45
Gosselin, Paul · 16
Gouhier, Henri · 64
Grotowski, Jerzy · 36, 37
Guissard, Lucien · 24
H
Hauptmann, Gerhart · 37
Hegel, Georg Wilhelm Friedrich · 32
J
Jacob, (le Patriarche) · 64
Jaspers, Karl · 9, 10, 34
Jeener, Jean-Luc · 3, 58, 61
Jésus-Christ
Christ · 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 12, 15, 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 30, 31, 37, 38, 39, 40, 43, 46, 48, 56, 59, 64, 65, 68, 70, 87
Jésus · 1, 3, 4, 6, 7, 10, 11, 12, 18, 21, 22, 23, 25, 37, 46, 47, 54, 58, 68, 72, 76, 77, 78, 79, 82, 83, 84
Job · 7
K
Kandinsky, Wassily · 27
Kant, Emmanuel · 28
Kierkegaard, Soren · 11, 51
Klee, Paul · 32
L
La Mothe Le Vayer · 46
Lavedan, Henri · 51
Le Senne · 32
Lennon, John · 31
Lenoir, Frédéric · 11
Léon X, (le Pape) · 43
Lope de Vega · 44
M
Malraux, André · 3, 32
Marcel, Gabriel · 2, 50, 51, 52, 53, 56
Marest, Etienne · 39
Marlowe, Christopher · 43
Marx, Karl · 17
Mazouer, Charles · 46
Merleau-Ponty, Maurice · 21
Michée, (le Prophète) · 50
Mnouchkine, Ariane · 37
Moïse · 18, 64
Molière · 44, 46, 48, 61
Morin, Edgar · 38
N
Nicole, Pierre · 44, 46
Nietzsche, Friedrich · 17
O
Osée, (le Prophète) · 31
P
Paul, (l'Apôtre) · 4, 5, 7, 11, 47, 87
Péguy, Charles · 51, 57
Marc, Franz · 32
Platon · 28
R
Racine, Jean · 49, 61
Ricoeur, Paul · 23
Ringlet, Gabriel · 11, 20, 22, 24, 25, 26
Rookmaaker, H.R. · 8, 14, 34, 60, 63, 65
Rousseau, Jean-Jacques · 49, 50
Runnalls, Graham A. · 42
S
Saint Augustin · 11
Satan
Diable · 5, 7, 21, 22, 45, 46, 71
Serreau, Jean-Marie · 41
Shakespeare, William · 28, 31, 35, 43, 44, 53
Stanislavski, Constantin · 36
Strindberg, August · 45
Sulivan, Jean · 26
T
Tertullien · 42
Tirso de Molina · 44
Tocqueville, Alexis de · 15
U
U2 (le groupe) · 1, 2, 47, 64
V
Vilar, Jean · 65
Voltaire · 45
W
Wilde, Oscar · 33
Y
Yoko Ono · 31
·
Bibliographie
· ARTAUD (Antonin). Le théâtre et son double. Saint-Amand. Editions Gallimard. 1964. 251 pages.
· BARICCO (Alessandro). L’âme de Hegel et les vaches du Wisconsin. Paris. Editions Gallimard. 2004. 144 pages.
· BERDIAEFF (Nicolas). Le sens de l’histoire. Paris. Aubier. 1948. 221 pages.
· BERNANOS (Georges). Dialogues des Carmélites. Paris. Editions du Seuil, 1949. 237 pages.
· BERQUE (Jacques). Coran et théâtralité. Internationale de l’imaginaire, n° 12, avril 2000, p. 89-98.
· LA SAINTE BIBLE. Genève – Paris. Société biblique de Genève. Nouvelle édition de Genève 1979. 1460 pages.
· CLAUDEL (Paul). Mémoires improvisés. Saint-Amand. Gallimard. 1969. 380 pages.
· CLAUDEL (Paul). Mes idées sur le théâtre. Mayenne. Gallimard. 1966. 254 pages.
· CLAUDEL (Paul). Œuvres en prose. Dijon. Bibliothèque de la Pléiade. Editions Gallimard. 1965. 1627 pages.
· CLAUDEL (Paul). Théâtre, Tome I. Bruges. Bibliothèque de la Pléiade. Librairie Gallimard. 1947. 1013 pages.
· CLAUDEL (Paul). Théâtre, Tome II. Mayenne. Bibliothèque de la Pléiade. Librairie Gallimard. 1959. 1388 pages.
· COPEAU (Jacques). Le Théâtre populaire. Paris. Presses universitaires de France. 1942. 64 pages.
· DE REYFF (Simone). L’Eglise et le théâtre. Paris. Les Editions du Cerf. 1998. 154 pages.
· DIVERS. Cahiers Renaud-Barrault, n° 88, 1975, p. 64-65.
· DIVERS. Foi et culture en Avignon. Citations et lettres tirées de plusieurs fascicule
· DIVERS. L’art du théâtre. Paris. Presses universitaires de France. 1992. 428 pages.
· DIVERS. Le théâtre religieux au Moyen-Âge (Choix de pièces). Paris. Larousse. 116 pages.
· DUVIGNAUD (Jean). Mettre Dieu entre parenthèses. Cahiers Renaud-Barrault, n° 88, décembre 1975, p. 71-80..
· FASBENDER (Jean-Édouard). Les Compagnons de Saint-Lambert : Une expérience de théâtre amateur ; Renaissance d’un théâtre chrétien en Belgique. Louvain-la-Neuve. Mémoire IAD. 1977. 156 pages.
· FUMAROLI (Marc). Le théâtre et la religion. L’art du théâtre. Paris. Presses universitaires de France, 1992, p. 311-348.
· GHÉON (Henri). L’Apostolat par le Théâtre. Liège. La Pensée Catholique : Etudes Religieuses n° 579. 1946. 32 pages.
· GOSSELIN (Paul). Fuite de l’Absolu, vol. 1. Québec. Samizdat, 2006. 490 pages.
· HAMELIN (Jeanne). Le Théâtre chrétien. Paris. Librairie Arthème Fayard. 1957. 122 pages.
· JASPERS (Karl). Foi philosophique ou foi chrétienne. Gap. Ophrys, 1975. 109 pages.
· JASPERS (Karl). La situation spirituelle de notre époque. Paris. Desclée de Brouwer, 1966. 254 pages.
· JEENER (Jean-Luc). Pour un théâtre chrétien. Paris. Pierre Téqui éditeur. 1997. 179 pages.
· KUTTNER (Hélène). Dieu, la Bible et le Théâtre. Avant-Scène Théâtre, n° 1095, 2001, p. 83-84
· LENOIR (Frédéric). Le Christ philosophe. Paris. Plon. 2007. 306 pages.
· LORELLE (Yves). Rituel et théâtre. Théâtre, rites et religion. Du théâtre, n°18, automne 1997, p. 33-38.
· MARCEL (Gabriel). Cinq pièces majeures. Paris. Plon, 1973. 553 pages.
· MARCEL (Gabriel). L’heure théâtrale : de Giraudoux à Jean-Paul Sartre. Paris. Plon, 1959. 230 pages.
·
· MARCEL (Gabriel). Regards sur le théâtre de Claudel. Paris. Collection Beauchesne, 1964. 175 pages.
· MARCEL (Gabriel). Théâtre et Religion. Lyon. Editions Emmanuel Vitte, 1958. 109 pages.
· MAREST (Etienne). Une pièce juive (le théâtre serait-il incorrigiblement chrétien ?). Théâtre / Public, n° 153, mai-juin 2000, p. 31-34.
· MAZOUER (Charles). L’Eglise, le théâtre et le rire au XVIIème siècle. L’art du théâtre. Paris. Presses universitaires de France, 1992, p. 349-360.
· MOISY (Pierre). Eglises et théâtres. Revue de la société d’histoire du théâtre, vol. 2, 1960, p. 103-117.
· MÜLLER (Carole). Le théâtre et la révélation du sacré. Théâtre, rites et religion. Du théâtre, n°18, automne 1997, p. 39-43.
· PÉGUY (Charles). Œuvres poétiques complètes. Mesnil. Bibliothèque de la Pléiade. Librairie Gallimard. 1948. 1406 pages.
· RINGLET (Gabriel). L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?. Paris. Albin Michel. 1998. 225 pages.
· ROBERTI (Jean-Claude). Un clown d’Eglise : le fol en Christ ?. Le clown, 1999, p. 25-30.
· ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
· ROUSSEAU (Jean-Jacques). Discours sur les sciences et les arts. Paris. Librairie Générale Française. 2004. 92 pages.
· ROY (Claude). Notre père qui êtes aux cintres. Cahiers Renaud-Barrault, n° 88, décembre 1975, p. 59-61.
· SERREAU (Jean-Marie). Turelure et Pitchum. Cahiers Renaud-Barrault, n° 88, décembre 1975, p. 62-66.
· STOCKMAN (Steve). Walk On : The Spiritual Journey Of U2. Orlando. Relevant Media Group Inc. 2005. 252 pages.
· STRINDBERG (August). Théâtre cruel et théâtre mystique. Paris. Editions Gallimard. 1964. p. 131-132.
· TURNER (Steve). Le chrétien et l’art. Marne-la-Vallée. Editions Farel, 2006. 171 pages.
· VERSENYI (Adam). Getting under the Aztec Skin : Evangelical Theatre in the New World. New Theatre Quarterly, vol. 5, n° 19, août 1989, p. 217-226.
· VIENOT (Mary). Foi de clown !. Paris. Les Editions de l’Atelier. 2004. 125 pages.
Deux ans et demi de grossesse et l’accouchement fut rude et douloureux. C’est l’occasion pour moi de remercier toutes celles et ceux qui m’ont aidé et soutenu, de près ou de loin, pour l’élaboration de ce mémoire. Un remerciement tout particulier pour mon promoteur, Philippe Vauchel, pour l’IAD, Matthieu Couplet et Philippe Reusens, ainsi que pour tous ceux qui prendront le temps de me lire…
Louvain-la-Neuve
L’homme de théâtre et sa foi
Un théâtre chrétien a-t-il encore sa place aujourd’hui et sous quelle forme ?
MÉMOIRE DE MASTER EN ARTS DU SPECTACLE ET TECHNIQUES DE DIFFUSION ET DE COMMUNICATION
OPTION : INTERPRÉTATION DRAMATIQUE
ANNÉE ACADÉMIQUE 2008-2009
Présenté par : ZUCCHELLO Marc
Promoteur : VAUCHEL Philippe
Est-ce que le théâtre n’est pas partout dans la foi et est-ce que la foi n’est pas partout dans le théâtre ?
L’Eglise n’a-t-elle pas renier sa propre foi en combattant le théâtre comme elle l’a fait durant tous ces siècles d’histoire mouvementée ?
Et notre société capitaliste et matérialiste ne sape-t-elle pas en définitive les fondements mêmes du théâtre en se séparant de la foi et des valeurs qui l’accompagnent ?
C’est autant de questions que ce mémoire a pour mission de soulever, d’approfondir et je l’espère d’un tant soit peu éclairer.
Mots-clefs :
- Théâtre
- Foi
- Christianisme
- Eglise
- Religion
- Art
[1] Tous les versets cités dans cet ouvrage, accompagnés de leurs références bibliques (Auteur, livre : versets) et présentés avec cette police d’écriture proviennent de la Bible dans sa version française traduite sur les textes originaux hébreux et grecs par Louis Segond.
[2] JEENER (Jean-Luc). Pour un théâtre chrétien. Paris. Pierre Téqui éditeur. 1997. 179 pages.
[3] BERDIAEFF (Nicolas). Le sens de l’histoire. Paris. Aubier. 1948. 221 pages.
[4] BERDIAEFF (Nicolas). Le sens de l’histoire. Paris. Aubier. 1948. 221 pages.
[5] ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
[6] JASPERS (Karl). La situation spirituelle de notre époque. Paris. Desclée de Brouwer, 1966. 254 pages.
[7] ELLUL (Jacques). La subversion du christianisme. Paris. Seuil. 1986.
[8] LENOIR (Frédéric). Le Christ philosophe. Paris. Plon. 2007. 306 pages.
[9] Vingt et un articles, in Œuvres complètes, tome 19, éditions de l’Orante, Paris, 1982, p. 45
[10] Vingt et un articles, in Œuvres complètes, tome 19, éditions de l’Orante, Paris, 1982, p. 45
[11] ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
[12] DE TOCQUEVILLE, 1835 : ch.IX, sect. vi
[13] BERDIAEFF (Nicolas). Le sens de l’histoire. Paris. Aubier. 1948. 221 pages.
[14] JASPERS (Karl). La situation spirituelle de notre époque. Paris. Desclée de Brouwer, 1966. 254 pages.
[15] BERDIAEFF (Nicolas). Le sens de l’histoire. Paris. Aubier. 1948. 221 pages.
[16] Foi et culture en Avignon. Citations et lettres tirées de plusieurs fascicules.
[17] RINGLET (Gabriel). L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?. Paris. Albin Michel. 1998. 225 pages.
[18] RINGLET (Gabriel). L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?. Paris. Albin Michel. 1998. 225 pages.
[19] MERLEAU-PONTY (Maurice). Signes. Paris. Gallimard (NRF). 1960. p. 96.
[20] SULIVAN (Jean). Dieu au-delà de Dieu. Paris. Gallimard. NRF. (Coll. “Les Eassais” CXL). 1968. p. 26)
[21] RINGLET (Gabriel). L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?. Paris. Albin Michel. 1998. 225 pages.
[22] RINGLET (Gabriel). L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?. Paris. Albin Michel. 1998. 225 pages.
[23] GUISSARD (Lucien). Les Chemins de la nuit. Paris. Le Centurion. 1985.
[24] RINGLET (Gabriel). L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?. Paris. Albin Michel. 1998. 225 pages.
[25] RINGLET (Gabriel). L’évangile d’un libre penseur : Dieu serait-il laïque ?. Paris. Albin Michel. 1998. 225 pages.
[26] ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
[27] Citation tirée d’Internet
[28] SHAKESPEARE (William). Le songe d’une nuit d’été. Acte V, scène 1. Traduction de Jean-Michel Déprats. Gallimard. 2003.
[29] CLAUDEL (Paul). Mémoires improvisés. Saint-Amand. Gallimard. 1969. 380 pages.
[30] COLLINGWOOD (R.G.). Essays In The Philosophy Of Art [Essais sur la philosophie de l’art]. USA. Indiana University Press. 1964.
[31] Citation tirée d’Internet
[32] CLAUDEL (Paul). Mémoires improvisés. Saint-Amand. Gallimard. 1969. 380 pages.
[33] ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
[34] Citation tirée d’Internet
[35] Foi et culture en Avignon. Citations et lettres tirées de plusieurs fascicules.
[36] BERDIAEFF (Nicolas). Le sens de l’histoire. Paris. Aubier. 1948. 221 pages.
[37] JASPERS (Karl). La situation spirituelle de notre époque. Paris. Desclée de Brouwer, 1966. 254 pages.
[38] ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
[39] JASPERS (Karl). La situation spirituelle de notre époque. Paris. Desclée de Brouwer, 1966. 254 pages.
[40] STANISLAVSKI (Constantin). Ma vie dans l’art. Traduit du russe par Denise Yoccoz. « Théâtre des années vingt ». Lausanne. L’Age d’Homme. 1980. p. 353-354.
[41] BARICCO (Alessandro). L’âme de Hegel et les vaches du Wisconsin. Paris. Editions Gallimard. 2004. 144 pages.
[42] HAUPTMANN (Gerhart). Entretiens avec Chapiro. Citation tirée d’Internet.
[43] CLAUDEL (Paul). Mémoires improvisés. Saint-Amand. Gallimard. 1969. 380 pages.
[44] DOSTOÏEVSKI (Fedor). Les Possédés. Paris. LGF – Livre de Poche. 1977. 571 pages.
[45] SERREAU (Jean-Marie). Turelure et Pitchum. Cahiers Renaud-Barrault, n° 88, décembre 1975, p. 62-66.
[46] ARTAUD (Antonin). Le théâtre et son double. Saint-Amand. Editions Gallimard. 1964. 251 pages.
[47] FUMAROLI (Marc). Le théâtre et la religion. L’art du théâtre. Paris. Presses universitaires de France, 1992, p. 311-348.
[48] DE REYFF (Simone). L’Eglise et le théâtre. Paris. Les Editions du Cerf. 1998. 154 pages.
[49] STRINDBERG (August). Théâtre cruel et théâtre mystique. Paris. Editions Gallimard. 1964. p. 131-132.
[50] MAZOUER (Charles). L’Eglise, le théâtre et le rire au XVIIème siècle. L’art du théâtre. Paris. Presses universitaires de France, 1992, p. 349-360.
[51] DE REYFF (Simone). L’Eglise et le théâtre. Paris. Les Editions du Cerf. 1998. 154 pages.
[52] FUMAROLI (Marc). Le théâtre et la religion. L’art du théâtre. Paris. Presses universitaires de France, 1992, p. 311-348.
[53] ROUSSEAU (Jean-Jacques). Discours sur les sciences et les arts. Paris. Librairie Générale Française. 2004. 92 pages.
[54] MARCEL (Gabriel). Théâtre et Religion. Lyon. Editions Emmanuel Vitte, 1958. 109 pages.
[55] MARCEL (Gabriel). Théâtre et Religion. Lyon. Editions Emmanuel Vitte, 1958. 109 pages.
[56] CLAUDEL (Paul). Mémoires improvisés. Saint-Amand. Gallimard. 1969. 380 pages.
[57] GHÉON (Henri). L’Apostolat par le Théâtre. Liège. La Pensée Catholique : Etudes Religieuses n° 579. 1946. 32 pages.
[58] MARCEL (Gabriel). Théâtre et Religion. Lyon. Editions Emmanuel Vitte, 1958. 109 pages.
[59] MARCEL (Gabriel). Théâtre et Religion. Lyon. Editions Emmanuel Vitte, 1958. 109 pages.
[60] JEENER (Jean-Luc). Pour un théâtre chrétien. Paris. Pierre Téqui éditeur. 1997. 179 pages.
[61] CLAUDEL (Paul). Mes idées sur le théâtre. Mayenne. Gallimard. 1966. 254 pages.
[62] CLAUDEL (Paul). Mes idées sur le théâtre. Mayenne. Gallimard. 1966. 254 pages.
[63] ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
[64] COPEAU (Jacques). Le Théâtre populaire. Paris. Presses universitaires de France. 1942. 64 pages
[65] CLAUDEL (Paul). Mes idées sur le théâtre. Mayenne. Gallimard. 1966. 254 pages.
[66] CLAUDEL (Paul). Mémoires improvisés. Saint-Amand. Gallimard. 1969. 380 pages.
[67] ARTAUD (Antonin). Le théâtre et son double. Saint-Amand. Editions Gallimard. 1964. 251 pages.
[68] ROOKMAAKER (H. R.). L’Art moderne et la mort d’une culture. Guebwiller. Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. 286 pages.
[69] DE REYFF (Simone). L’Eglise et le théâtre. Paris. Les Editions du Cerf. 1998. 154 pages.
[70] STOCKMAN (Steve). Walk On : The Spiritual Journey Of U2. Orlando. Relevant Media Group Inc. 2005. 252 pages.
[71] CLAUDEL (Paul). Mémoires improvisés. Saint-Amand. Gallimard. 1969. 380 pages.
[72] Je fais référence ici à ce verset :
Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent.
- Matthieu 7: 6